En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies pour vous proposer des contenus et services adaptés à vos centres d'intérêts.

LEFILDENTAIRE est un site réservé aux professionnels de la santé dentaire.
Si vous n'êtes​ pas un professionnel de santé, vous pouvez obtenir des réponses à vos questions par des experts sur Dentagora.fr en activant le bouton Grand Public.

Je suis un professionnel Grand Public

Rencontre avec Jacques Charon

0

Dans le monde de la paro, Jacques Charon dérange. Certains le vénèrent, d’autres le détestent, pour le moins, il ne laisse pas indifférent. Nous avons voulu partir à la découverte de ce personnage, petit homme haut en couleur. Action !

Jacques, parlez-nous un peu de votre parcours….

J e ne suis pas arrivé dans le dentaire par hasard . J’avais une mère assistante dentaire. J’ai entendu parler de dentiste très jeune sauf que je trouvais qu’elle en parlait un peu trop. On était modeste, et le dentiste avait une voiture, des costumes, de belles paires de chaussures. Ce qui détournait son attention de mon père et me rendait fou furieux. J’ai toujours aimé l’école et je l’aime toujours. J’étais un excellent élève, pas toujours le premier mais j’allais à l’école avec le sourire. Totalement indiscipliné, c’est ça le problème. Une fois, voire plusieurs fois par an, je changeais d’établissement.

C’est un très gros avantage, on apprend sans arrêt à s’adapter à de nouvelles situations. Alors que j’avais 16 ans, il y a eu un sérieux problème de santé dans la famille. J’étais obligé d’aller au travail. Tous mes copains rêvaient d’arrêter l’école, pas moi…

Mon premier emploi d’ouvrier a été très éphémère. J’ai très vite réalisé que je n’étais pas fait pour cela. Du jour au lendemain, j’ai décidé de ne plus me rendre au travail et d’annoncer à mes parents que je voulais poursuivre mes études. Ça a été l’esclandre. C’était anormal dans le milieu ouvrier de voir un comportement arrogant . La tension est devenue telle qu’un jour je suis rentré chez moi et la porte était fermée.

Pendant quelques jours j’ai dormi dehors. Rapidement je me suis dit qu’il fallait trouver un moyen d’être logé, nourri, blanchi, payé et pouvoir aller à l’école. La seule profession qui t’accepte sans formation c’est la restauration. J’ai été accueilli par une femme qui tenait un restaurant et qui a compris que j’avais un problème, elle m’a logé. J’assurais les services du matin, du midi et du soir et dans l’intervalle, j’allais à l’école. J’ai fais ça pendant 6 ou 7 ans. C’est une profession que je connais très bien , à tel point que tous les ans, je fais commis dans un restaurant où je ne suis pas connu, par nostalgie et pour réaliser que j’ai de la chance d’être là où je suis.

J’ai très peur de retourner dans le besoin. Pour rester vigilant il suffit d’aller voir ce que les gens modestes font.

J’ai appris à louer des chambres d’hôtel miteuses, chèrs, maintenant je fais le contraire, je vends un service de haute qualité à bas prix.

Je suis passé par l’école de la rue et je pense que c’est bien plus formateur que tous les cours de dentisterie qu’on a bien voulu me donner, que je me suis d’ailleurs empressé d’oublier.

Je me suis vite rendu compte que la dentisterie était beaucoup moins marrante que la restauration. A boucher des trous, je craignais de tomber dans un trou.

Après la fac, j’ai travaillé dans un cabinet de stomatologie et après une année, j’ai décidé de m’installer comme dentiste de famille dans un village avec l’ambition de soigner ses braves gens. Une partie pensait que j’étais fou furieux parce qu’ils étaient habitués au dentier complet et moi je leur disais : « Non , les dents ça se garde ! » L’autre partie disait avoir hérité du meilleur dentiste.

Au bout d’un moment, je gagnais beaucoup d’argent, je m’ennuyais et l’ennui mène droit à la dépression. On commence à être irritable, à faire des bêtises , des choses qui ne sont pas raisonnables. Il fallait que je trouve un moyen de m’en sortir. J’ai essuyé un échec monumental en paro sur un patient, il a tenté de se suicider. Il était dépressif et c’est moi qui ai mis la dernière goutte dans le vase. Je me suis senti responsable. J’ai très mal vécu cette situation et décidé d’arrêter la dentisterie. Je m’étais installé en 1972 et j’ai quitté la France en 1978.

Pour retrouver le goût au travail, j’ai passé un C.E.S de biologie buccale, un CES de paro, j’ai été major national. Je suis parti aux EU pour apprendre la paro, discipline très en vogue à l’époque. J’ai été diplômé de paro puis j’ai eu une maîtrise et au bout de 2 ans quand j’ai fait le bilan de ce que j’avais appris, c’était pas terrible, j’ai réussi à négocier avec ma femme un an de plus pour faire de la recherche. Là , j’ai eu la chance de ma vie, le bon D… était avec moi. J’ai été accepté , avec 0 connaissance, dans le plus grand centre mondial d’immunologie, à côté de Washington. J’ai été pris en charge par un type pour qui j’ai une tendresse énorme, Jo OPPENHEIM, médecin immigré de Hollande. Il m’a accepté avec mes mauvais côtés, entendu, accompagné, respecté.. Un homme juste, un être humain exceptionnel et le meilleur professionnel que j’ai jamais vu. De retour en France, j’ai décidé de faire de la paro et petit à petit quitté la recherche.

Un jour Jo est venu me voir, il m’a regardé dans les yeux, il m’a dit : « Jacques, you make too much money ! ». Il avait raison, il me disait : fais gaffe de ne pas tomber dans un autre trou, celui de l’argent.

Je suis retourné dans le village et je suis devenu parodontiste exclusif. Mes honoraires n’étaient pas chers et cela a marché tout de suite. Au bout d’un an, j’ai ouvert un cabinet dans ma maison.

Quelques années plus tard,, j’ai pris un collaborateur. Quand on a été associé, il m’a dit : « deux associés ne peuvent pas travailler dans la maison d’un des associés ». Donc nous sommes venu ici, quai du Wault..

Il ne faut pas que cet acte soit infranchissable parce que les honoraires sont inabordables. On s’est débrouillé pour gérer le business de cette façon là. Et pour l’instant, cela fonctionne bien. Mon associé est d’une honnêteté exemplaire. Nous avons des tempéraments opposés, on se complète bien. Progressivement, nous avons mis au point une technique , un contrôle de prévention en lisant quotidiennement la littérature de très près. On est sensible à tout ce qui pourrait améliorer le traitement. Ne plus soigner les gens sur un fauteuil mais sur un lit c’est un progrès. Les gens se comportent incroyablement différemment selon la manière dont on les accueille. Nous souhaitons que les patients se posent la question de savoir s’ils sont chez le dentiste. S’ils entrent et pensent qu’ils se sont trompés, alors on a gagné . Je défends avec force que le métier de dentiste n’a rien à voir avec le métier de parodontiste. Ce ne sont ni les mêmes réflexes ni les mêmes modes de pensée, c’est de la médecine, ce n’est pas de la dentisterie. Si c’était de la dentisterie , je me contenterais de boucher les trous des dents qui qui se déchaussent comme on l’a fait pendant des dizaines d’années. C’est cette notion que j’ai à mal fou à faire comprendre à mes confrères.

On vous a présenté lors d’une formation que vous donniez en disant : … « Jacques Charon est un homme qu’on aime ou qu’on déteste mais en tout cas il ne laisse pas indifférent ». A votre avis qu’est ce qui vous vaut cette réputation ?

Il y a autant d’erreurs dans une lettre dithyrambique que je reçois que dans celle où je suis traité de tous les noms. Nous « les petits » on a un comportement particulier, comme les grands, les gros… dès que tu sors de la moyenne, ou tu t’effaces totalement pour qu’on t’oublie, ou bien tu montes sur l’estrade et tu dis , arrêtez de regarder mes boutons ou la jambe qui me manque… Je ne dis pas que mon comportement est bon, j’ai une incapacité quasi totale à la nuance. Quand une chose est acquise ce n’est plus intéressant. Il faut constamment vérifier que l’on ne se trompe pas. De temps en temps, tu tombes sur un truc auquel personne n’avait pensé et là tu irrites tous ceux qui ne veulent pas changer tout comme j’irritais mon instituteur. Ce qui est humain. Jo m’a appris a commencé mes phrases par « pourquoi » et de préférence par « pourquoi pas ». Le « comment » on s’en fout. La vie est un perpétuel questionnement. La dignité d’un être humain passe par là.

Et au niveau professionnel pourquoi dérangez- vous ?

J’irrite autant que les suédois quand ils ont dit aux américains que leur traitement chirurgical était agressif dans les années 70. Mon geste chirurgical est pensé. Je ne crois pas que ma lame guérisse, elle me permet d’avoir accès à un organe que je ne pourrais pas atteindre sans elle. Mais j’ai d’autres moyens de soigner. Aujourd’hui j’ai dû faire seulement 1 ou 2 actes chirurgicaux. Mais ce sont des actes d’une simplicité biblique. Les gens vont ensuite déjeûner sans prendre d’antalgique. C’est juste une chirurgie d’accès. Le geste chirurgical en paro permet d’avoir accès à la racine. Moins on est agressif, mieux ça vaut pour le confort des gens. Quand on opère de cette manière ça se passe dans d’excellentes conditions. Quand la littérature a démontré qu’on pouvait faire autrement, les chirurgiens se sont sentis dépossédés d’un plaisir quasi sadique d’inciser, de couper puis de se faire valoir.

Vous me dites que vous donnez des formations, que vous vous formez vous- même, que vous lisez quotidiennement toute la littérature de manière quasi exhaustive, vous nagez tous les jours 1 km, vous avez aussi une vie familiale, en plus, les honoraires que vous pratiquez sont bas et vous dites que vous gagnez très confortablement votre vie en travaillant moitié moins que la plupart de vos confrères . Quel est votre secret ?

Je ne perds pas de temps. Je passe 24 heures par semaine au cabinet sur le fauteuil.

On va parler clair. Un traitement de paro chez nous, de la première consultation jusqu’à la dernière séance du traitement actif, exclus la maintenance, ça ne peut pas être facturé plus de 3 000 euros tout compris. Pour 3000 euros, ils gardent leur dent ! Cela varie entre 6 et 8 séances.

Aussi, je suis diabolique d’organisation, d’une ponctualité maniaque : 0 retard. Mais derrière cela pour que tout fonctionne, il faut être très bien assisté, nous n’avons pas d’assistantes dentaires qui tiennent l’aspirateur toute la journée : ce sont des professionnelles de la santé. Nous avons quatre personnes ici. Chacun une assistante et 2 secrétaires. Tous les tableaux de bord sont constamment consultés. La moindre erreur commise est repérée immédiatement, on n’attend pas que ça nous tombe sur la tête.

Que conseilleriez-vous à un jeune dentiste qui sort de la fac ?

D’abord, poses-toi la question de savoir pourquoi tu es dentiste. Cela me paraît capital pour quelqu’un qui s’engage pour 30 ans dans ce métier.

Il faut qu’il soit sûr d’être à la bonne place sinon il va être malheureux et rendra les autres malheureux. Les dentistes vers 40 – 45 ans disent en avoir marre : « les patients sont soûlants, on n’est pas assez payés… ». Assures-toi d’avoir choisi le bon métier, sinon change. Il y en a qui s’en rendent compte tout de suite et ils ouvrent des restaurants, ils créent des hôtels.

Deuxièmement, si tu penses que c’est le métier qui te convient, ne l’exerces pas comme les autres. Distingues-toi des autres. Ne fais pas ce que l’on appelle en Amérique le « me too business ». Parce que si tu fais pareil que ton voisin, les gens te choisiront uniquement sur le prix de ta facture. Si c’est le même service on va aller au moins cher et là t’es cuit. Troisièmement, quand tu t’installes, au lieu de t’acheter un fauteuil tout neuf qui coûte une fortune, achètes du matériel d’occasion, et prends toi une assistante tout de suite, mets de l’argent dans les gens qui vont t’aider à bien travailler. Pas dans le matériel, les patients s’en foutent carrément. Ce n’est pas leur souci. Ce qui compte c’est si tu es propre, ponctuel, gentil… Or le dentiste qui s’installe, dépense un argent considérable dans le matériel. Il pourrait économiser facilement un salaire par an.

Et que conseilleriez-vous justement à un confrère de 45 ans qui en a marre de ses conditions de travail ?

Si tu n’es pas heureux dans ton travail, si tu n’as pas de plaisir, et en conséquence quand on n’a pas de plaisir on ne peut pas en donner. Posestoi des questions. Si c’est personnel, alors travailles sur toi.

Si ce sont les conditions de ton exercice et bien fais la révolution. Oses mettre en doute ce qui est considéré comme acquis. Je suis sûr que c’est toujours possible. Quand je dis ça, je ne me mets pas d’un côté de la barrière, en disant bande d’andouilles. Seulement moi j’ai appris à changer très jeune.

Quand j’ai commandé un lit à la place du fauteuil, j’étais à l’étranger, on m’a appelé et on m’a dit qu’il y aurait du retard. Je me suis surpris à dire : «ah, tant mieux !» J’avais peur de changer. Quand le lit est arrivé, mon assistante et moi étions morts de trouille. Des angoisses qui n’étaient pas justifiées !

Le dentiste qui n’est pas heureux ne doit pas continuer à creuser le trou. On m’a appris que la première chose à faire quand on est dans un trou c’est d’arrêter de creuser.

Si c’est la nomenclature qui nous étouffe, sortons de la nomenclature.

Tu peux tout à fait trouver des actes efficaces, validés, qui ne sont pas dans la nomenclature. Si je marque sur une feuille prélèvement micro biologique au microscope , je peux facturer cela à un million de dollars si ça me fait plaisir. Donc il ne faut surtout pas faire ce que les autres font. Et si tu veux le fond de ma pensée, le plus assisté des deux dans le couple patient-praticien, ce n’est peut-être pas celui qu’on pense. Quand nous, dentistes, on dit à l’Etat voulez-vous augmenter le montant des honoraires que nous trouvons, à juste titre pas adaptés au monde moderne, on tend la main. Ils nous tiennent. Il y a deux thèmes qui mettent les professionnels mal à l’aise, c’est le temps et l’argent.

C’est facile de s’en rendre compte, pas un dentiste n’est à l’heure. Moi je pense que c’est le moindre respect que l’on doit à autrui : quand on dit 15 heures, c’est pas 15 heures 30 sinon on écrit sur le carnet de RDV aux environs de 15h. Déjà, être ponctuel c’est une décision à prendre et qu’on ne dise pas que c’est impossible sinon les avions ne peuvent pas partir à l’heure, les trains ne peuvent pas partir à l’heure… D’autre part, l’argent. C’est vrai que chaque profession a un énorme problème de relation avec l’argent et elle pense que cela gâche les relations humaines. Erreur monumentale. Le compas est exactement à l’inverse.

Le type qui s’occupe de mon informatique est un être humain exceptionnel. J’apprends beaucoup avec lui. Un jour mon disque dur tombe en panne. On est samedi et je pars lundi pour donner une conférence au Canada. Je n’avais pas de sauvegarde, je transpirais, je l’appelle. Il me promet de venir le lendemain donc un dimanche. Il débarque à 9 heures, il y passe toute la matinée et vers midi, ça redémarre. Il m’a tout récupéré. Je lui ai dit je ne saurais jamais comment vous remercier. Il me dit depuis que les phéniciens ont inventé la monnaie, la question ne se pose plus. Il m’avait fait tout comprendre. L’argent n’aliène pas il libère. Et ce pays qui a une culture catholique vit l’argent comme une chose sale. Or, dans une relation, c’est justement cela qui va permettre aux deux parties de ne pas faire de bêtises.

Donc, il y a une réflexion profonde à mener dans notre profession sur le rapport que nous entretenons avec l’argent et lui redonner sa vraie place. Tant que l’on regardera l’argent comme quelque chose de dégradant, sur sa seule valeur comptable, on ne fera pas de progrès dans notre vie. Et les secrétaires auront peur de demander de l’argent, les dentistes auront peur de se faire rémunérer. On ne peut se faire payer que lorsqu’on est content de soi. L’argent qu’on nous donne pour du bon travail, celui là on le prend tout de suite et avec le sourire. Les gens nous disent, ça c’est du bon travail docteur. Voilà votre chèque vous l’avez bien mérité. C’est ce qu’il y a dans leur tête.

L’astuce consiste à bien travailler. Si jamais les honoraires du voisin sont différents, on dira c’est pas l’argent qui change, c’est le comportement. Vous prenez le temps de nous écouter, de nous informer, vous êtes disponible… pour cela je suis prêt à payer.

Comment voyez-vous l’avenir de la profession en France ?

Dans le mur, si on continue à exercer la dentisterie comme nos grands-pères dans un monde qui a changé. Heureusement, on fait des progrès, pas assez à mon goût car je suis un impatient à l’esprit « révolutionnaire ». Si on continue de demander à l’Etat de nous assister avec une nomenclature, on lui donne la maîtrise. L’Etat a un problème avec le déficit, moins il aura à payer mieux il se portera. D’accord M. l’Etat, freinez si vous voulez mais laissez-moi ma liberté, je vais m’arranger avec mes patients. Gérez votre budget, de mon côté, je vais leur expliquer que ça coûte moins cher de garder ses dents que de les perdre. Il y a là une activité de vente. Le dentiste va vendre lui-même un service et il n’aime pas ça. Surtout s’il n’a pas confiance en lui. Le travail va consister à être plus compétent que ses voisins. C’est la dure loi de ce bas monde.

Les praticiens se plaignent qu’il y a un décalage énorme entre ce qu’ils apprennent en formation, les honoraires qu’ils pourraient demander et les prix du matériel. Qu’en pensez vous ?

Oui il y en a un, c’est sûr. Mais il sera d’autant plus énorme qu’il y a un grand contentieux. Je connais bien ce problème. Je vois bien les gens que je forme en paro. Quand ils partent ils se demandent où il vont aller. Pour eux , c’est très dur parce qu’ils passent du noir au blanc. Moi aussi je suis passé du noir au blanc mais par toutes les nuances de gris. Et cela m’a pris 15 ans.

J’ai eu des moments de surprises. Mes progrès je les ai fait petit à petit comme un enfant qu’on voit grandir. Il y a 10% des dentistes qui se forment, régulièrement, petit à petit, ceux-là n’ont en général pas de problème. Mais pour le gars qui ne s’est pas recyclé, ne serait-ce que 5 ans, en paro notamment…

C’est comme si j’arrête pendant 5 ans de lire de la littérature, c’est fini, je suis mort. Nous avons fait la démonstration qu’on pouvait donner des soins de qualité à des gens qu’on appelle à tort ordinaires. Des gens qui ont des moyens modestes. C’est rare les gens qui se lèvent le matin et qui disent pourvu qu’on me soigne mal, tant pis si c’est des soins nuls pourvu que ça ne me coûte pas cher. Ce n’est pas vrai.

Tout le monde sait bien que dès que l’envie de bien vivre est là, les gens sont capables de faire beaucoup de choses. Nos concurrents, c’est les vendeurs de BMW et les clubs de vacances. Lorsqu’un ménage décide de s’offrir des loisirs, ou une voiture, il programme. Mais le vendeur va prendre le temps de montrer que c’est effectivement ce qu’il cherche. Et si le client dit, non ce n’est pas ce que je cherche, il va aller ailleurs. Les marchands connaissent bien ça. Le mec vient avec un budget de 10000 euros pour acheter une voiture et il ressort avec une note de 15000 euros. Pas parce que c’est un bon vendeur seulement, mais parce que le client a rêvé. Il s’est dit 10000 c’est bien, mais si je fais un petit effort, je vais avoir le truc mieux. Nous on a oublié ça, normal on est des médecins. On n’a pas à parler de ça. Ah non ? C’est là où la restauration m’a donné des réponses. Le chef te dit il faut placer les escalopes sinon elles partent à la poubelle. Nous, on va vendre les escalopes. Vous aimez la viande blanche, prenez des escalopes vous allez vous régaler. Elle peut être ordinaire mais quand elle arrive, ils salivent déjà.

Il nous faut admettre que nous sommes dans une société où les patients sont devenus consommateurs de soins médicaux, il y a une éthique à respecter… mais ils sont consommateurs. Ils vont regarder où ils vont avoir le meilleur rapport qualité-prix. C’est tout ce qu’il y a de plus justifié.

C’est quoi pour vous un bon dentiste ?

(RIRES)… Je vais te dire pourquoi ça me fait rire. C’est mon fils qui m’a appris ça. Un bon dentiste c’est un dentiste qui empêche la petite souris de passer 2 fois. C’est à dire le jour où tu perds une dent la petite souris passe, elle te fait un cadeau. Le bon dentiste c’est celui qui l’empêchera de passer 2 fois.

Dans la réalité, un bon dentiste c’est celui qui va dire avoir des dents c’est avoir du plaisir à vivre.

Les dents sont faites pour parler, manger, séduire, embrasser… si on oublie cela quand on soigne…

Un bon dentiste c’est quelqu’un qui dit j’ai bien compris ce que vous voulez faire avec votre bouche. Je n’ai pas à juger si c’est bon ou mauvais. Chacun utilise cet organe là à ses propres fins. Donc j’ai bien compris cela et je vais vous y amener.

Maintenant si vous me dites je veux une dent blanche à coté d’une dent noire, c’est ce qui va me rendre heureux, je le ferai. Je n’ai pas à juger. Ça, c’est pas admis. C’est les docteurs qui décident de ce qui est bien ou mal. C’est quoi cette vision ?

Avez-vous des projets ?

Oui, rester en vie le plus longtemps possible. J’approche bientôt des 60 ans. Ce n’est pas que j’ai peur de la mort mais j’ai des interrogations métaphysiques. Je ne peux m’empêcher de penser qu’il y a un grand horloger et que je devrais bientôt rendre des comptes. Je ne dis plus n’importe quoi, je ne fais plus n’importe quoi. Il n’y a pas une seconde qui n’ait de signification. Cela devient quasi-obsessionnel.

J’ai des activités extra-professionnelles, J’aime la pêche, j’aime bien dessiner, je dessine sur des cartons de bière. J’aime bien piloter des avions à hélice. J’aime bien écrire, je suis en train de terminer un livre sur le mot « petit ». Je m’organise pour tout doucement laisser la place à quelqu’un d’autre dans la profession, et pour faire des choses tout aussi enrichissantes. J’ai des choses à écrire, à dire.

Quand pensez-vous prendre votre retraite ?

Comme j’ai eu un fils tard, mes gestionnaires me disent : vous ne pourrez pas vous arrêter de travailler avant 68 ans. Mais je m’organise. J’aimerais faire les choses à un autre rythme. Par exemple, si j’avais envie de passer le double du temps avec un patient, je pourrais ou quand je suis chez moi en Irlande, c’est ce que j’aime, me lever et me coucher quand j’en ai envie. J’écris ou je dessine, j’écoute de la musique, je fais ce qui me plait. Quelque soit l’issue de cette affaire, l’important pour moi c’est d’être content de soi. Et en tous les cas si je ne suis pas content, pouvoir dire j’ai toujours souhaité faire mieux, et on ne pourra pas dire que je n’ai pas été au bout de mes idées.

Partager

A propos de l'auteur

Dr. Norbert COHEN

Rédacteur en chef du magazine LEFILDENTAIRE
Implantologie dentaire
Stomatologue
Docteur en médecine
Diplomé de l'institut de stomatologie et de chirurgie maxillofacial de Paris
Diplômé d'implantologie dentaire
Post graduate de parodontologie et d'implantologie de l'université de New-York
Diplomé de chirurgie pré et peri implantaire
Ex attaché des hopitaux de Paris
Diplômé d'expertise en médecine bucco-dentaire

Laisser une réponse