Historiquement, la mise en charge immédiate d’implants avait été totalement bannie par le Professeur Brånemark et son équipe. Beaucoup de nos maîtres se souviennent, en effet, de l’époque des implants lames où l’on cherchait à faire « travailler » les implants aussi vite que possible après leur pose. La fibrointégration qui en découlait était accueillie avec bienveillance, puisqu’on imaginait que l’on avait ainsi parfaitement recréé une sorte de ligament parodontal qui parviendrait à amortir les contraintes liées à la fonction masticatrice.
Malheureusement, l’étude des courbes de survie des implants en question permettait de prédire sans difficultés leur avenir : un échec plus ou moins rapide. Le tissu fibreux qui entourait les lames était constitué de fibres d’orientation parallèle à la surface de l’implant qui s’apparentait plus à un tissu d’interposition ou d’isolement qu’à un ligament parodontal dont les fibres sont elles, disposées perpendiculairement à l’axe de la racine.
Délai de cicatrisation : les raisons du choix selon Brånemark
Alors que les taux d’échec atteignent et dépassent après quelques années les 50%, le Professeur Brånemark découvre l’Ostéointégration de façon fortuite en étudiant la circulation sanguine de la moelle osseuse. Il intègre une chambre optique en titane pur, de forme vis, dans des os longs d’animaux. Pour perturber le moins possible la physiologie osseuse, il définit non seulement un protocole opératoire strict (utilisation d’un matériau biocompatible, asepsie poussée, protocole de forage limitant l’échauffement), mais il observe, de plus, un temps d’attente qu’il juge indispensable à la reprise d’un mode de fonctionnement normal de l’organisme après une « agression ». Brånemark ne parvient pas à retirer la chambre optique de l’os à la fin de ses observations, il vient de découvrir que l’os peut totalement se « souder » à un métal dans certaines conditions.
La mise en nourrice, c’est-à-dire, la mise à l’abri des charges occlusales en sous-périosté était, selon Brånemark, indispensable : trois mois en zone symphysaire et six mois au maxillaire.
<1997, l’année du bouleversement. C’est à l’EAO (European Association for Osseointegration) qu’une expérimentation animale de mise en charge immédiate d’implants est présentée en 1997. Un peu plus tard, à Venise, des spécialistes mondiaux se réunissent pour un congrès consacré à cette révolution.
De faibles forces peuvent stimuler la formation osseuse
Si l’on se réfère aux études menées dans le domaine de l’orthopédie et de la traumatologie osseuse, de nombreux auteurs expliquent qu’une stimulation mécanique contenue peut se révéler être un facteur favorable du point de vue de la différenciation des cellules souches mésenchymateuses en ostéoblastes et de la formation de tissus osseux. (Sarmiento – 1977, Goodship – 1985, Goodman – 1993).
Dès 1973, Cameron, dans une étude sur le chien, introduit une notion seuil et distingue micro-mouvements qui n’entravent pas la croissance osseuse à l’interface os-métal et macro-mouvements qui favorisent l’interposition de tissu fibreux à cette même interface. Brunski (1993) conclut que la régénération osseuse à l’interface os-implant demeure optimale si les mouvements restent en dessous d’un seuil, même si l’implant est en communication avec la cavité buccale. On peut noter que Schroeder (1976), Ericsson (1994), Bernard (1995) et l’école ITI en général, nous ont d’ailleurs montré que l’enfouissement de l’implant n’est plus considéré comme une condition nécessaire à l’obtention de l’ostéointégration.
Limiter les mouvements sur les implants en phase de cicatrisation
Nous savons à présent que les implants peuvent être non enfouis et que de faibles mouvements peuvent stimuler de façon positive la différenciation osseuse à l’interface os-implant. Il nous faut donc appréhender les différents éléments qui vont permettre de limiter ces fameux mouvements.
Le support osseux joue un rôle prépondérant. Sa densité permettra d’immobiliser de façon plus ou moins efficace l’implant lors de sa pose. Plus l’os sera de nature spongieuse et plus l’immobilisation de l’implant sera rendue compliquée.
L’état de surface de l’implant doit aussi être considéré. Pour Buser (1991), Lazzara (1999) et Sennerby (2000), le pourcentage d’apposition osseuse directe est favorisé par l’utilisation de surfaces rugueuses ou poreuses. Le seuil de tolérance aux micro-mouvements est amélioré par l’utilisation de ces mêmes surfaces (Szmukler-Moncler).
Le profil de la racine artificielle est un autre élément majeur dans notre quête de l’immobilisation maximale de l’implant lors de sa pose. Pour notre part, un implant de forme anatomique pourvu de spires comme le NOBELREPLACE® TAPERED GROOVY prend ici tout son sens. A propos de spires, le XiVE® DENTSPLY FRIADENT possède, lui aussi, un design qui offre une immobilisation primaire optimale.
Le principe de “l’union qui fait la force” doit aussi nous conduire à relier de façon rigide le maximum d’implants entre eux pour contenir toute mobilisation préjudiciable à l’élaboration du cal osseux. Enfin, le sens clinique du chirurgien est incontestablement important. Faut-il ne pas tarauder ? Ne pas passer le dernier foret ? Modifier le protocole habituel ?
La mise en charge immédiate permet de solutionner certains problèmes posés par un traitement classique
Il n’est pas rare de devoir imposer le port d’un appareil mobile à un patient pendant toute la phase d’ostéointégration alors que justement, il fait appel à nous pour ne pas avoir à supporter ce type de prothèse. Sur le plan psychologique, la réalisation rapide d’une prothèse fixe est un élément accueilli très favorablement par le patient. Un appareil mobile exerce des forces particulièrement nocives, car non contrôlées, sur des implants en voie d’ostéointégration. On découvre parfois, lors du second temps chirurgical, la présence d’une cratérisation osseuse autour d’un implant sollicité à travers la muqueuse. La situation est plus grave encore lorsqu’un secteur jouxtant l’implant est le siège d’une greffe osseuse devant être préservée de toute contrainte.
La cicatrisation osseuse et gingivale sous une prothèse adjointe générera le plus souvent un profil plat qui pourra compliquer la gestion esthétique future de nos travaux.
Difficultés et écueils de la mise en charge immédiate
Les taux de succès en implantologie « classique » dépassent les 96 % et il est primordial de ne pas accepter de revenir en arrière en augmentant le pourcentage d’échecs.
Comme nous l’avons mentionné plus haut, l’expérience du praticien reste un élément déterminant de ce protocole de mise en charge immédiate. Il est très certainement souhaitable d’avoir une grande habitude des protocoles standards avant de se lancer dans ce type de chirurgie où la sanction de l’échec aboutira à une situation très difficile à gérer avec parfois fracture de table osseuse et retour à un traitement bien plus lourd encore avec greffes d’os et allongement drastique de la durée des soins !
Il ne faut pas oublier que dans les premiers jours suivants la pose des implants, l’immobilisation primaire ou stabilité mécanique est la plus élevée. Avec le temps, cette stabilité mécanique diminue pour être remplacée, plus tard, par l’ostéointégration ou stabilité biologique. Il existe une phase critique où la stabilité primaire suit une courbe descendante alors que l’intégration osseuse est loin de pouvoir prendre le relais ! Il faut donc agir vite lorsque le choix du protocole de mise en charge immédiate est arrêté. D’ailleurs, selon Van Steenberghe (2002), on parle de mise en charge immédiate si celle-ci est effectuée dans les deux jours suivant la pose des implants. L’organisation du cabinet doit être prise en considération. Estce possible d’avoir un prothésiste de laboratoire qui assure rapidement un travail de qualité où les ajustages soient irréprochables ?
Nous restons convaincus que la plus grosse difficulté de conduite du protocole de mise en charge immédiate repose dans la mise en oeuvre prothétique. Même lorsque le point du prothésiste évoqué plus haut est réglé, demeure un écueil de poids : il est particulièrement difficile de prendre des empreintes, faire des essayages et s’assurer du bon positionnement de pièces prothétiques dans une bouche avec sang (suites de la chirurgie), fils de sutures, inflammation des tissus post intervention et, bien souvent, il faut l’avouer, fatigue du patient et de l’équipe chirurgicale…
Il faut alors reconnaître que les chirurgies guidées type Nobel Guide® sont d’une aide précieuse dans le cadre de mise en charge immédiate. Le logiciel de chez Nobel Biocare permet de planifier sur ordinateur la chirurgie après exploitation de données scanner, de faire usiner un guide chirurgical précis qui autorise l’élaboration à l’avance d’une prothèse provisoire. Attention, là encore, il est illusoire de penser que le praticien novice s’en sortira plus facilement avec ce type de logiciels. Il faut avoir suffisamment d’expérience pour placer ses implants correctement, même si la chirurgie est virtuelle dans un premier temps. De plus, il est toujours possible que les problèmes surviennent en cours d’intervention et nécessitent un retour aux techniques classiques…
Enfin, la mise en charge immédiate est onéreuse. Il est probable que le laboratoire facture en sus sa disponibilité. Il faudra disposer de pièces prothétiques en plus grand nombre pour s’adapter à la situation de fin de chirurgie et d’un stock d’implants suffisant pour répondre à toutes les adaptations du plan de traitement en per opératoire. Le temps de cabinet sera lui aussi allongé.
Pour une mise en charge immédiate réussie
Petit à petit, il se dégage donc un ensemble de règles à respecter pour essayer de mener à bien une mise en charge immédiate. Tout doit être entrepris pour limiter les mouvements des implants :
- La contention des implants entre eux aussi rapidement que possible (avant deux jours),
- L’utilisation d’implants à surfaces modifiées,
- L’utilisation d’implants pourvus de filetage pour obtenir la nécessaire stabilité primaire. A ce propos, il faudra toujours chercher à utiliser l’implant qui permettra, par son design et sa longueur, d’obtenir la meilleure stabilité primaire possible. Une conférence de consensus sur la mise en charge immédiate qui s’est tenue en mai 2006 à Naples suggère que la longueur minimale de l’implant soit de 10 mm,
- Une bonne connaissance et gestion de l’occlusion et des parafonctions éventuelles qui contreindiqueront cette mise en charge immédiate,
- Obtenir du patient qu’il ait une alimentation molle durant 4 à 6 semaines.
Il faut enfin reconnaître que la mise en charge immédiate d’implants au maxillaire n’est répertoriée que plus récemment et que la majorité des études se retrouve à partir de 2005. Une étude de 71 articles retenus dans la littérature rapporte que 4,5 implants sont utilisés en moyenne à la mandibule, contre 7,8 au maxillaire (Del Fabbro – 2006).
On peut donc considérer que la mise en charge immédiate d’implants unitaires, à fortiori au maxillaire, est un exercice périlleux qui ne correspond pas pour le moment aux données avérées de la science. Il ne faut pas rejeter catégoriquement cette option de traitement mais l’utiliser avec une extrême prudence. Notons aussi que la mise en sous-occlusion de dents nous semble être une fausse sécurité. Langue, lèvres et bol alimentaire exercent systématiquement des contraintes sur ce qui est présent en bouche.
De notre point de vue, c’est le traitement de l’édentation totale qui donne tous son sens à la mise en charge immédiate d’implants.
Une devise pourtant « ancienne » doit donc systématiquement nous guider dans nos choix et nos gestes « modernes » : « primum, non nocere ». C’est par ce précepte qu’Hippocrate rappelait à chaque médecin le premier de ses devoirs : d’abord ne pas nuire !