L’incidence chez les peuples civilisés des anomalies de l’occlusion et des dysfonctions temporo-mandibulaires a atteint des niveaux anormalement élevés. 85 à 90 % de la population adulte présente des symptômes de dysfonction de l’ATM selon la source et la technique d’examen (qui est critique). Nous attribuons cette incidence élevée principalement à l’établissement d’obstruction et de congestion des voies respiratoires supérieures dans l’enfance, conséquentes à l’inhalation et l’ingestion d’allergènes et aggravées par des aliments mous qui ne demandent qu’un minimum de mastication et ne contiennent que peu des abrasifs essentiels à l’établissement d’une occlusion fonctionnelle.
Occlusion et santé générale
L’inexistence de l’allaitement naturel et les tétines artificielles aux formes anormales chez les enfants nourris au biberon sont une autre influence négative. Nous faisons de plus en plus souvent la preuve que les problèmes de l’ATM sont responsables d’une multitude de symptômes locaux et systémiques qui ressemblent à ceux d’états pathologiques sans relation.
L’affaissement de la denture avec l’hyper-tonicité des muscles de la tête, du cou et de la mandibule qui en découle s’associe à la lésion essentielle des problèmes des voies respiratoires. On a récemment démontré qu’il existait également des lésions à la colonne vertébrale et au bassin (Fig. 1 à 5). Cela rend le diagnostic difficile et ouvre la porte à de grandes différences d’opinions quant aux causes et à la pathogenèse des problèmes d’ATM. En conséquence, l’incidence des dysfonctions de l’ATM est probablement plus grande que celle mentionnée plus haut.
Évolution neurobiologique des dysfonctions temporo-mandibulaires
Tandis qu’une douleur intermittente est ressentie au début, les douleurs chroniques continues sont généralement un phénomène tardif. Avec le temps, des complications supplémentaires comprenant des signes et symptômes systémiques et psychologiques se présentent de façon caractéristique ce qui complique la différenciation entre troubles chroniques de l’ATM et tout autre état chronique.
Cette difficulté résulte surtout du fait que la profession a en général ignoré l’importance des instruments électroniques (Fig. 6 à 12) dans le diagnostic précoce des troubles de l’ATM et a plutôt choisi des instruments psychométriques. L’explication est évidente lorsque l’on remarque que tous les états chroniques présentent les mêmes signes et symptômes connus sous le nom de « syndrome général d’alarme et d’adaptation » à la détresse (SGA) (Selye). Le premier niveau du SGA produit des effets au niveau du système nerveux autonome avec une augmentation de la sécrétion d’adrénaline et de noradrénaline par le cortex des glandes surrénales, pour produire la réponse caractéristique de « frayeur et fuite ».
Ces effets comprennent une altération du rythme cardiaque, une tension artérielle labile, une respiration accélérée, une augmentation du tonus musculaire et une activation thyroïdienne du métabolisme général. Le second niveau est un processus d’adaptation à la détresse accompagné d’une activité accrue de l’axe hypothalamo-pituitaire-surrénal (HPS). La sécrétion d’hormone adrénocorticotropine (HAC) par la glande pituitaire antérieure suit la stimulation de l’hypothalamus et la production accrue de facteur corticoïde (FC). La HAC, à son tour, stimule principalement la production de minéralo et glucocorticoïdes qui favorisent le métabolisme d’ions comme le sodium et le potassium et de glucose, pour renforcer la défense de l’organisme contre la détresse. Les catécholamines autonomes adrénaline et noradrénaline ainsi que les ions sodium et potassium avec le glucose essentiel à l’énergie sont nécessaires au métabolisme nerveux et musculaire qui provoque l’irritabilité nerveuse et le tonus musculaire accru du second niveau des désordres de l’ATM.
Au troisième·niveau, la sur-stimulation du cortex surrénal mène à son atrophie menant le patient à un état d’épuisement général. Le fait que cet épuisement existe dans les situations chroniques générales renforce la désignation de Grand Imposteur pour la dysfonction de l’ATM.
La dentisterie neuromusculaire
Cependant, la notion que le problème fondamental est une occlusion non fonctionnelle avec ses effets sur la physiologie de l’organisme total fait de plus en plus l’unanimité. C’est ainsi que le début des années 70 a vu naître le concept de l’occlusion neuromusculaire suite aux travaux de recherche physiologique du Dr Bernard Jankelson et des études morphologiques du Dr Casey Guzay.
L’occlusion neuromusculaire se définit comme étant une occlusion équilibrée, physiologiquement essentielle à la reconstruction prothétique avec une stabilité fortement améliorée de la santé physiologique totale de l’individu tandis que Guzay parle d’une analyse anatomique d’une occlusion anormale et de sa correction. Cet article se concentrera sur les connexions physiologiques de l’occlusion.
L’occlusion d’intercuspidation maximale définit l’état adaptatif de contact maximal des cuspides des dents (OIM) lorsque les mâchoires sont fermées volontairement en position communément appelée occlusion. Cet état adaptatif résulte de l’adaptation anatomique et physiologique principalement par l’intégration par le système nerveux central de feedback périphérique proprioceptif (sens de la position et du mouvement) et nociceptif à différents niveaux du système nerveux périphérique. Ces éléments périphériques, d’après la formule de Jankelson, comprennent les dents, les articulations des mâchoires et les structures musculo-ligamentaires nommées triades stomatognathiques.
Nous constatons cependant qu’il s’agit d’une sur-simplification que nous devrions agrandir pour y inclure le feedback de l’organe de l’équilibre de l’oreille interne aux noyaux appropriés du tronc cérébral nommés appareil vestibulaire. Le positionnement de l’organe de l’équilibre dépend de la résolution de forces exercées par l’occlusion, de la posture de la tête, du feedback visuel et de la tension de la musculature reliant la mandibule à la tête. L’intégration centrale du feedback nerveux du système stomatognathique et des structures associées produit un effet de sommation au niveau du neurone moteur, le tronc commun de sortie de l’ordinateur qu’est le cerveau. Ces signaux nerveux fixent le tonus de base de la mandibule, de la musculature oro-faciale, pharyngée et cervicale dans des muscles particuliers dont la fonction n’est pas uniquement la mastication, la respiration, la déglutition et l’audition, mais également la posture de la tête.
À cet égard, il fait comprendre que le feedback de la façon dont les dents sont en relation au repos et en occlusion est un élément intégral de toutes ces fonctions. Pour vraiment bien comprendre cette notion, nous devons réaliser que la tension à l’intérieur du tissu conjonctif joue un rôle vital.
L’occlusion neuromusculaire ou myocentrique est définie comme étant la position de contact maximal équilibré, sans stress sur les dents. En pratique, nous obtenons cette position par une trajectoire de fermeture involontaire isotonique de la mandibule (provoquée par TENS) à partir d’une vraie position de repos vers un crâne ne subissant aucun couple de forces et à l’opposé de l’attraction terrestre. Cette fermeture involontaire de la mandibule est obtenue par la contraction neurale modulée des muscles de la mandibule et du visage provoquée par une stimulation électrique transcutanée péri-auriculaire (TENS) des branches motrices des nerfs trijumeau et facial. Le point de départ de cette trajectoire de fermeture se situe à la vraie posture de repos de la mandibule où les muscles de la mandibule, du visage et de la bouche sont à leur longueur physiologique optimale de repos. Cette position est obtenue par la relaxation de ces muscles par stimulation antidromique du nerf moteur de façon à produire une hyper-polarisation et ainsi une réfraction des neurones moteurs, à tout feedback proprioceptif et nociceptif. Cette VRAIE position de repos de la mandibule est ainsi choisie comme point d’activité électrique minimale et équilibrée des muscles des mâchoires et du crâne.
Cette position représente ce point dans l’espace à partir duquel la force musculaire est optimisée à l’effort physiologique. Une fois établie la position non adaptative de la mandibule sans force transverse durant la fermeture vers une occlusion neuromusculaire, le SNC a la possibilité de reproduire volontairement cette position avec une économie physiologique maximale et une efficacité impossibles autrement. Dans les mots de Jankelson, le TENS est efficace grâce à sa capacité de fournir « une précision inégalée pour enregistrer l’occlusion ». De façon à supporter la précision de l’enregistrement au Myomonitor de l’occlusion, Jankelson a, dès 1975, mis au point des instruments kinésiométriques où les mouvements mandibulaires étaient analysés par électromyographie et plus tard l’état des articulations évalué par sonographie avant et après le TENS. Une évaluation objective de pathologies pré-existantes et des changements produits par des corrections subséquentes de l’articulé devenait ainsi possible. Comme nous l’avons déjà mentionné, les cliniciens en place considéraient cette instrumentation comme un outil de recherche utile mais superflu pour la dentisterie clinique.
Ces travailleurs n’ont pas démontré une compréhension utile de la pathologie des désordres de l’ATM et présumé faussement que leurs contrôles « normaux » étaient sains. Comme nous l’avons observé plus tôt, de quatre vingt cinq à quatre vingt dix pour cent des sujets d’une population civilisée ne sont pas sains et ainsi, les quelques rares contrôles doivent avoir été sélectionnés avec soin. La stimulation nerveuse synchronisée de la musculature mandibulaire dans son ensemble est essentielle au concept de l’enregistrement de l’occlusion neuromusculaire. La théorie du Myomonitor de Jankelson a également reçu un accueil froid à ce sujet car les détracteurs étaient convaincus que le TENS agissait uniquement au niveau musculaire local. Jankelson réfuta les critiques en montrant que la latence des contractions musculaires était trop longue pour qu’il s’agisse de contractions musculaires directes.
L’on argumenta quand même que la trajectoire musculaire n’était pas physiologique car le Myomonitor stimulait de façon synchrone les muscles élévateurs et dépresseurs (ce qui ne se produit pas normalement) et qu’il était possible que cette stimulation engendre une position de repos et une trajectoire d’épuisement. Fujii et Mitani (1975) et Fujü (1977), ont cependant démontré que le TENS force la mandibule à se placer à sa véritable position de repos par réfraction anti-drornique (hyper-polarisation) des neurones moteurs alpha et gamma sans influx proprioceptifet nociceptif. Il n’est cependant pas possible de conclure, en se basant sur l’amplitude de l’électromyogramme que la position de repos de la mandibule dépend de la relaxation musculaire ou de la fatigue. On a émis l’argument que le TENS du trijumeau ne corrigeait pas nécessairement immédiatement la posture du cou, ce qui peut surcharger les muscles de la mastication et ainsi provoquer leur épuisement en coupant simultanément l’apport sanguin des muscles allongés et contractés. Mais Thomas (1988, 1990) a démontré en analysant la fréquence des EMG que le TENS relaxait effectivement la musculature de la mandibule.
Ces dernières études démontrent également que l’absence de fatigue découlait du fait que les neurones moteurs sont réfractaires à tout influx proprioceptif et qu’il était donc possible de les utiliser pour distinguer la posture orthogonale (debout) de la posture non orthogonale. Par contre, les dé-programmateurs de l’occlusion (NTI, etc.), les cales et les manipulations de la mandibule produisent l’épuisement des muscles trop sollicités de la mandibule et du cou pour arriver en bout de ligne à une occlusion non équilibrée. Il devient alors évident, parce que la musculature de la mandibule a également un rôle à jouer dans la posture et qu’elle s’intègre aux mécanismes généraux de la posture que sa relaxation et les ajustements constants à l’aide de la TENS aboutiront éventuellement à une amélioration complète de la posture corporelle. Évidemment, lorsqu’il existe des défauts physiques comme une jambe plus courte ou une sub-luxation de l’articulation de l’atlas et de l’os occipital, des corrections orthopédiques sont nécessaires. Il faut donc comprendre que lorsque l’ATM a subi des transformations de structure à cause de problèmes d’occlusion ou de posture, il n’est pas logique de placer les condyles déformés au fond des fosses glénoïdes pour corriger l’occlusion. C’est plutôt la correction posturale des muscles mandibulaires vers leur position de repos qui permettra aux ATM de trouver une position équilibrée par rapport aux éminences articulaires. Étant donné que le crâne contient le tissu nerveux des systèmes visuel, auditif, vestibulaire, olfactif et occlusal, ces systèmes devraient être orthogonaux entre eux, sans quoi ils ne pourraient fonctionner à leur efficacité maximale. En effet, Sherrington, « le père de la neurophysiologie », a démontré que la posture verticale est un mécanisme réflexe du tronc cérébral où la position verticale était maintenue en dépit du fait que l’animal avait été décérébré. Dans l’état de rigidité décérébré qui en découle, les postures des mâchoires, de la tête, du cou et du corps étaient toutes reliées entre elles d’une manière orthogonale, ainsi qu’à la gravité terrestre.
Imaginez un animal à l’état naturel qui sent la présence imminente de danger ou d’une proie n’étant pas stabilisé et orienté dans son environnement. Son espérance de survie en serait, de toute évidence, grandement diminuée. Le noyau vestibulaire du tronc cérébral reçoit des influx de tous ces systèmes pour les intégrer et donner lieu à des réponses motrices coordonnées. « Contextuellement », il faut comprendre que l’occlusion fait partie intégrante de la réponse du système postural. Donc, idéalement, les forces de l’occlusion ne devraient pas dévier de l’axe vertical des dents de façon à produire une posture orthogonale de la tête, de la mandibule, du cou et du corps. Il est évident que la même chose se produit lorsque les arcades sont de tailles différentes. Lorsque les dents et les mâchoires sont alignées de façon orthogonale avec la tête et le cou, il y a alors un feedback positif en direction du noyau vestibulaire et les réponses motrices complexes de rotation du corps, de la tête, du cou et de la mandibule vers ou à l’opposé de la cible sont optimisées physiologiquement pour favoriser la survie de l’animal.
Chez les jeunes enfants les mouvements de mastication ne se développent qu’après l’arrivée des dents. Les condyles mandibulaires et occipitaux se développent simultanément et sont de formes identiques. Les mouvements antéro-postérieurs de la tête se produisent au niveau de l’articulation de l’os occipital et de l’atlas tandis que l’articulation atlas/axis permet la rotation de la tête et de la mandibule autour du procès odontoïde de l’axis. Le procès odontoïde est le corps de l’atlas et provient du corps de l’axis. L’occlusion neuromusculaire ou myocentrique est définie comme étant la position de contact maximal équilibré, sans stress des dents. Le plan reliant la base du condyle occipital, la base du maxillaire au niveau des encoches hamulaires et le canal incisif constitue une référence osseuse importante en reconstruction de l’occlusion. Ces points étant couverts d’une épaisseur comparable de muqueuse et de périoste sont donc utiles dans le montage des modèles maxillaires sur l’articulateur selon le plan HIP. Le plan HIP est utilisé dans les reconstructions prothétiques et occlusales ainsi que dans les réhabilitations esthétiques (Fig. 13 et 14).
Il est intéressant de noter que toutes les vertèbres à l’exception de l’atlas jouissent d’un support en trépied. Pour ce qui est de l’atlas, le support antérieur est fourni par l’occlusion qui, lorsqu’elle est déficiente, mène à l’affaissement du complexe cervical supérieur. On désigne cette anomalie occlusale descendante, alors que l’anomalie ascendante décrit une occlusion anormale conséquente à une posture corporelle anormale qui affecte également l’alignement de l’atlas et de l’axis. De toute manière, la physiologie de l’organisme entier sera affectée.
Dans l’élaboration de l’occlusion neuromusculaire, nous appliquons le TENS au niveau de l’échancrure coronoïde ainsi que sur la zone délimitée par le trapèze en arrière et le sterno-cléido-mastoïdien en avant. Nous ajustons l’intensité du TENS à plusieurs reprises afin d’éviter une sur-stimulation alors que se produit la relaxation musculaire. Nous identifions la pleine relaxation à la vraie position de repos mandibulaire lorsque les électromyographies arrivent à des valeurs basses.
La localisation de repos post TENS de la mandibule est effectuée par un tracé à l’oscilloscope des mouvements mandibulaires. Une augmentation de l’intensitédu TENS provoque une élévation de la mandibule d’1 à 2 mm. La position de l’occlusion neuromusculaire est obtenue avec un électromyogramme bas (Fig. 15).
Nous fabriquons ensuite un appareil thérapeutique (orthotic) (Fig. 16) à cet enregistrement neuromusculaire de l’occlusion.
L’électromyogramme à cette nouvelle position démontre que la fermeture en occlusion myocentrique produit des valeurs équilibrées de niveau minimum. Le remodelage musculaire s’effectue en moins d’1 mois tandis que celui du tissu osseux du condyle et de la fosse glénoïde peut prendre 5 à 10 ans. Le processus de remodelage sert simplement à supporter l’occlusion reconstruite qui demeure stable dès la réhabilitation, souvent au-delà de 20 ans (Fig. 17 et 18). Une fois la phase 1 (orthotic et donc occlusion) validée, nous pouvons nous concentrer sur la restauration prothétique et plus particulièrement l’esthétique (Fig. 19).