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« Chéri, j’ai réarrangé la collection »

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Le collectionneur Philippe Cohen dévoile son ensemble rigoureux et conceptuel au Passage de Retz à Paris.

Philippe Cohen est un très bon dentiste. Il est même le dentiste des artistes. Mais il ne fait pas que scruter leurs molaires. Il les collectionne aussi, un peu à la manière du docteur Gachet au XIXe siècle qui soignait les peintres en échange d’œuvres. Il n’est qu’à voir son cabinet. Avant de passer sous la fraise vous aurez le temps de distinguer une œuvre de Philippe Parreno, actuellement à l’honneur au Palais de Tokyo à Paris, et une page de dictionnaire de Gilles Barbier illustrant un organe qui lui est familier : la dent. A la différence de Gachet, Philippe Cohen a constitué l’essentiel de sa collection en dehors des échanges de bons procédés, dans un mélange de sagacité et de réflexion.

Avant de plonger dans l’art contemporain, il a d’abord étudié les textes fondateurs du judaïsme. Ses origines séfarades le conduisent à acheter des dessins de l’orientaliste Alfred Dehodencq. Il acquiert aussi des photographies anciennes sur le judaïsme marocain, ensemble qu’il donnera en 1998 au Musée d’Art et d’Histoire du judaïsme à Paris. Ce n’est qu’à la fin des années 1980 qu’il s’ouvre à l’art actuel avec le courtier Philippe Ségalot qui l’emmène voir en 1992 l’exposition “Post Human” à Lausanne.

Il y découvre le travail de Paul Mc Carthy et Felix Gonzalez-Torres. Pendant un an, Cohen décide de ne rien acheter pour apprendre, avalant toute l’histoire du XXe siècle. Autre rencontre essentielle, celle de l’artiste Philippe Parreno vers 1996. A son contact, il s’intéresse à l’idée du réseau et du collectif. Une donnée qu’on retrouve chez des artistes comme Reena Spaulings, Wade Guyton et Kelley Walker ou Clairefontaine. Le curateur Ami Barak fait aussi bouger son curseur en lui faisant découvrir la vidéo. Autre rencontre capitale, celle de l’artiste allemand Tino Sehgal, connu pour ses performances. Dans le catalogue, Philippe Cohen s’en explique : “Tino Sehgal est arrivé dans ma vie à un moment où j’étais enlisé par rapport à l’art contemporain. L’idée d’arrêter de collectionner me travaillait.”

L’art comme outil de réflexion

Aujourd’hui, le collectionneur expose une centaine d’œuvres au Passage de Retz à Paris, un accrochage orchestré par son ami Ami Barak. Le titre facétieux “Chéri j’ai réarrangé la collection” est emprunté à l’artiste américain Allen Ruppersberg. Mais ne vous méprenez pas : l’art chez lui n’est ni un passe-temps, ni un complément de décoration, pas plus qu’un signe extérieur de richesse. C’est bien un outil de réflexion.

“Je voudrais montrer qu’on peut faire une exposition sans montrer des trophées, avec beaucoup d’œuvres qui questionnent”, confie-t-il. Pour ce Juif traditionaliste, la question nodale reste celle des images. “Les images ne sont pas interdites, mais ça dépend de ce qu’on en fait, précise-t-il. Mes références, ça reste Felix Gonzalez-Torres. J’ai eu grâce à lui tout de suite un répit de la peinture. Les seuls artistes qui m’intéressaient parlaient de l’acte de peindre comme Buren, Wayde Guyton ou Claude Rutault.”

Même si sa collection compte des artistes qui aujourd’hui valent cher, il sait aussi regarder des pièces plus ténues. “Si on comprend les petites choses de ma collection, on me comprend”, déclare-t-il. Et d’ajouter : “Beaucoup de gens pensent que je collectionne “tendance”. Ce n’est pas vrai. Quand j’ai acheté Douglas Gordon en 1998, ce n’était pas tendance. Et je n’ai pas acheté ses portraits brûlés, ses choses les plus faciles.” Il achète d’autant moins tendance qu’il n’achète pas cher. Il a mis un an à payer le cosmonaute de Matthew Day Jackson au prix de 30 000 dollars, accroché au Passage de Retz.

“J’ai peut-être du flair, mais je m’informe beaucoup, je suis curieux de ce qui se passe”, précise-t-il. Curieux et sérieux. Elevé dans l’étude des textes, il n’a de cesse, encore aujourd’hui, d’aborder l’art avec la même rigueur herméneutique, en constituant de véritables dossiers sur les créateurs qui l’intriguent.

Une pause réflexive

Le pratiquant a trouvé un liant entre sa passion de l’art contemporain et sa conscience juive en soutenant activement le Musée d’Israël à Jérusalem. Prosélyte, il aime aussi conseiller ses amis. Sa recommandation ? Prendre garde. Car il a beau acheter depuis vingt ans, fréquenter les grandes foires, fureter dans les catalogues de ventes. Il n’en reste pas moins critique face aux errements de l’art contemporain. La saturation d’images inutiles, le clinquant et le kitsch le font frémir.

“Deux formes d’art vont cohabiter, une forme institutionnelle plus cérébrale et une forme plus picturale, plus immédiate, plus évidente”, analyse-t-il. Bien qu’il ait aussi des artistes à la mode comme Matthew Day Jackson, chouchou des spéculateurs, il n’en dénonce pas moins un système qui carbonise les artistes en les propulsant trop vite au firmament. “Un bon artiste doit être bien entouré de commissaires intelligents et de marchands qui font leur boulot”, insiste-t-il.

A l’écouter parler, on penserait que les œuvres sont moins importantes pour lui que leurs créateurs. “J’ai un bon flair pour les artistes mais pas forcément pour choisir les meilleures œuvres, admet-il. Un artiste peut mal produire, ça ne me dérange pas.” Il connaît d’ailleurs les limites de sa collection, liées aux contours de son porte-monnaie. L’exposition au Passage de Retz lui offre finalement moins l’occasion d’un bilan que d’une pause réflexive, la possibilité de voir des pièces qu’il n’a jamais pu déployer faute de place et de songer à l’avenir. Comme il le dit dans le catalogue, “c’est un constat d’étape” d’un Spectateur émancipé, pour reprendre la formule du philosophe français Jacques Rancière.

Honey, I rearranged the collection, 20 ans d’acquisition, jusqu’au 1er décembre, Passage de Retz, 9, rue Charlot, 75003 Paris, tél. 01 48 04 37 99 Par Roxana Azimi

Source de l’article : http://www.lenouveleconomiste.fr/art-et-culture/cheri-jai-rearrange-la-collection-20210/

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