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Gestion prothétique des pertes de substance maxillaire

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Dans le cadre des pertes de substance (PdS) tissulaires plus ou moins etendues de l’etage moyen de la face, les protheses amovibles endo-buccales, avec ou sans obturateur, peuvent representer une alternative therapeutique dans un grand nombre de situations cliniques. Congenitales ou acquises, les PdS maxillaires peuvent aboutir a des communications bucco nasales, bucco-sinusiennes ou bucco-naso-sinusiennes, face auxquelles le specialiste en prothese maxillo-faciale (PMF) doit s’adapter pour concevoir sa realisation prothetique, notamment par le biais d’obturateurs.

En cas de chirurgie d’exerese carcinologique, etiologie la plus frequente des PdS maxillaire, le praticien en PMF doit faire face aux consequences esthetiques, fonctionnelles et psychologiques. L’objectif principal de cet article est de donner au praticien qualifie en medecine orale, des cles therapeutiques pour la prise en charge prothetique de patients adultes presentant des PdS maxillaire.

Mots-clés : perte de substance maxillaire, prothèse maxillo-faciale, obturateur, hybridation.

Introduction

La prothese maxillo-faciale (PMF) est l’art et la science de la reconstruction artificielle du massif facial dans les cas de pertes de substance acquises ou de malformations congenitales. Elle a pour objectif une rehabilitation fonctionnelle, esthetique, et psychologique, l’interet final etant l’amelioration de la qualite de vie du patient. Semantiquement, la prothese (du grec pro ≪ au lieu de ≫, et tithêmi ≪ je place ≫) est un dispositif artificiel de remplacement d’un organe ou d’une partie du corps reproduisant la forme et si possible rendant les memes services fonctionnels [1]. Elle est consideree par les anthropologues de la sante comme un bio-objet ou un dispositif hybridant ayant un impact significatif sur le schema neuro-psycho physiologique [2][3]. Indeniablement complementaire de l’approche chirurgicale (Fig.1), la PMF est a classer dans la categorie des ≪ grands appareillages ≫ du corps humain. [4] (Fig. 2, 3 et 4)

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Fig.1 : organigramme : symbiose chirurgie/prothèse maxillo-faciale.

 

 

 

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Fig.2 : perte de substance maxillo-faciale (contexte carcinologique). / Fig.3 : modèle d’étude maxillaire pour une réflexion chirurgico-prothétique. / Fig.4 : reconstruction faciale chirurgicale et hybridation prothétique endo-buccale.

Approche fondamentale des pertes de substance maxillaire

Etiologies des pertes de substance maxillaire

Les trois principales causes de perte de substance sont congenitales, tumorales et traumatiques. [5] (Fig. 5)

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Fig.5 : étiologies des pertes de substance maxillaire.

Concernant les pertes de substance congenitales, les divisions labio-alveolaires et/ou velo-palatines peuvent etre unilaterales ou bilaterales, completes ou incompletes, totales ou partielles. d’un point de vue epidemiologique, la prevalence en Europe des fentes est de 1/700[4][6] et dans 30% des cas, ces fentes sont associees a un syndrome polymalformatif. [4] (Fig. 6 et 7)

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Fig.6 : fente palatine séquellaire de l’adulte. / Fig.7 : fente vélo-palatine (noter la présence du bourrelet de Passavant sur la paroi postérieure du pharynx).

En traumatologie maxillo-faciale, la perte de substance peut etre directe par disparition d’un segment osseux, ou indirecte par devascularisation retardee suivie de l’elimination de sequestres osseux. La chirurgie est souhaitable lorsqu’elle promet des resultats acceptables. [7]. Concernant les pertes de substances balistiques, les sequelles peuvent etre similaires a celles rencontrees en cancerologie, a deux differences majeures qui sont, d’une part, la presence de tissus sains et non-irradies, et d’autre part, des sujets concernes souvent plus jeunes et avec un meilleur etat general. [4][8] Les pertes de substance maxillaire d’origine tumorale representent l’etiologie la plus frequemment rencontree. Elles sont le plus souvent secondaires a l’exerese chirurgicale d’un carcinome epidermoide [9] (Fig. 8).

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Fig.8 : perte de substance centro-palatine (après chirurgie d’exérèse tumorale)

Les autres tumeurs sont des adenocarcinomes des glandes salivaires accessoires de la muqueuse buccale et plus rarement des lymphomes, sarcomes ou melanomes. Il existe des tumeurs des glandes salivaires qui peuvent etre benignes (adenomes) ou malignes (adenocarcinomes) et des tumeurs osseuses. une fois la chirurgie d’exerese realisee, les difficultes principales lors de la rehabilitation prothetique sont a relier principalement aux effets secondaires des traitements adjuvants, notamment la radiotherapie oro-faciale. [4] (Fig.9 et 10)

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Fig.9 : perte de substance maxillaire après chirurgie d’exérèse tumorale, compliquée d’une ostéoradionécrose.

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Fig.10 : répercussions buccales des traitements des cancers oraux pouvant compliquer la réhabilitation prothétique.

Classifications et typologie des pertes de substance maxillaire

Concernant les pertes de substance congenitales, les classifications sont nombreuses : celles de Veau, Kernahan, Stark et Harkins, Chancholle sont les plus connues [4]. La classification plus recente de destruhaut et al., orientee dans le traitement prothetique des pertes de substance velopalatines sequellaires et/ou residuelles, attribue pour chaque conformation velo-palatine un obturateur prothetique specifique [10][11]. Par ailleurs, les classifications qui traitent des PdS d’origine tumorale sont celles de d’aramany, de devauchelle et de Boutault. Pomar et al. Proposent une classification topographique des defauts maxillaires en rapport avec la difficulte prothetique [12]. Les consequences fonctionnelles essentielles sont liees au defaut d’etancheite au niveau de la PdS a l’origine de difficultes plus ou moins marquees notamment lors de l’alimentation (passage des liquides par le nez) et de la phonation (rhinolalie, deperdition nasale). [4]

Approche thérapeutique des pertes de substance maxillaire

En cas de pertes de substance maxillaire, associees ou non a des reconstructions chirurgicales, les protheses amovibles, avec ou sans obturateur, peuvent representer une solution therapeutique dans un grand nombre de situations cliniques. Les objectifs prothetiques sont de repondre aux imperatifs de la triade de Housset (sustentation, retention et stabilisation) auxquels se rajoute la necessite de retablissement de l’etancheite (a l’aide par exemple d’une plaque et/ou d’un obturateur) [13][14].

Obturateurs vélo-palatins en cas de pertes de substance congénitales

En presence d’une division velo-palatine residuelle et/ou sequellaire, le protocole de realisation des protheses velopalatines comporte generalement trois axes principaux (plaque, tuteur, obturateur) (Fig.11 et 12).

prothese-velo-palatine

Fig.11 : prothèse vélo-palatine avec un obturateur vélaire de Schiltsky (image C.Rignon-Bret). / Fig.12 : prothèse vélo-palatine avec un obturateur de Dichamp (après pharyngoplastie) (image J.Dichamp).

La conception de la plaque palatine ne comporte pas de difficulte particuliere, relevant des realisations prothetiques amovibles conventionnelles : il peut s’agir d’une plaque palatine, d’un chassis de prothese adjointe partielle, d’une prothese amovible complete en resine.

L’obturateur velaire, relie a la plaque par un tuteur, est realise a partir d’une empreinte velo-pharyngienne. En cas de voile divise mais tonique, ou en presence d’un voile suture, trop court mais contractile, une empreinte anatomofonctionnelle velo-pharyngienne est realisee en tenant compte de plusieurs mouvements en rapport avec

empreinte-velo-pharyngienne

Fig.13 : empreinte vélo-pharyngienne anatomo-fonctionnelle réalisée à la pâte oxyde de zinc-eugénol.

differentes fonctions oro-faciales [12] : phonation (prononciation des phonemes [ta], [Pa], [Ka], [Sa]), deglutition et flexion/extension du rachis cervical (enregistrement du tubercule anterieur de la vertebre C1 imprime sur la paroi posterieure du pharynx). (Fig.13)

Prothèses obturatrices en cas de pertes de substance acquises (après chirurgie d’exérèse carcinologique)

La prothese obturatrice ne constitue que l’un des trois volets essentiels de la prise en charge globale :

  • la composante fonctionnelle : l’objectif est de prevoir et prevenir les consequences des traitements chirurgicaux et des effets secondaires des traitements adjuvants : orthese de fluoration et seances de reeducation orofaciale (orthophonie, kinesitherapie maxillo-faciale). [15]
  • la composante psychologique : le cancer est un evenement majeur, avec une rupture entre un ≪ avant ≫ et un ≪ apres ≫. Les etapes du deuil de l’etat de sante anterieur sont decrites par le modele d’Elisabeth Kubler Ross. Par ailleurs, la localisation specifique du cancer, l’etage moyen de la face, peut entrainer de lourdes repercussions au niveau des champs identitaires (face-a-face, face a l’autre, face aux autres) [16]
  • la composante prothetique : la prothese d’usage ne s’envisage qu’une fois la cicatrisation acquise apres la maxillectomie. En l’absence de fermeture chirurgicale (communication entre l’etage moyen et l’etage inferieur de la face), un obturateur est realise a chaque fois que les conditions cliniques le permettent afin d’assurer une etancheite entre les etages faciaux [17]. L’empreinte en presence d’une maxillectomie necessite le comblement prealable de la PdS a l’aide d’une compresse humidifiee afin d’empecher le materiau d’empreinte de penetrer dans la cavite d’exerese. L’obturateur palatin est generalement confectionne en resine et est solidaire de la plaque palatine (fig.14, 15, 16, 17, 18 et 19); les obturateurs en silicone sont rarement utilises compte tenu de l’envahissement fongique. [12] (Fig.20)
En-cas-de-pertes

Fig.14 : maxillectomie antérieure. / Fig.15 : prothèse obturatrice (prothèse amovible complète et obturateur rigide). / Fig.16 : maxillectomie partielle centro-palatine. / Fig.17 : prothèse obturatrice (prothèse ajointe partielle et obturateur rigide). / Fig.18 : hémi-maxillectomie. / Fig.19 : prothèse obturatrice (prothèse amovible complète et obturateur rigide). / Fig.20 : obturateurs palatins en silicone (dégradés).

Prothèses supra-implantaires et radiothérapie orocervico- faciale

L’irradiation cervico-faciale, frequemment associee aux chirurgies d’exerese carcinologique, ne semble plus etre aujourd’hui une contre-indication absolue a la pose d’implants mais necessite des precautions avancees [4][18] (Fig.21). Les implants dentaires ne sont pas par ailleurs le seul moyen de retention en prothese maxillo-faciale [14]. Lorsque les conditions medicales le permettent, on les privilegiera dans les deux cas suivants : en presence d’adultes jeunes, operables et au pronostic vital non-engage, avec suffisamment de dexterite, lorsqu’une retention optimale est recherchee ; en cas de maxillectomies, apres echec de retention par l’obturateur, avec edentement complet et surfaces palatines reduites. dans ce cas, l’implantation peut se faire au niveau des os maxillaires ou zygomatiques [12]. En l’absence d’implants, les mouvements de la prothese lies a l’absence de retention peuvent generer des blessures muqueuses et exposent au risque d’osteoradionecrose (si terrain irradie > 50 Gy). [4][29]

implantologie-et-radiotherapie

Fig.21 : implantologie et radiothérapie oro-faciale.

Conclusion

La prothese maxillo-faciale est une discipline exigeante et necessite toujours une adaptation a chaque situation clinique compte tenu des specificites posees par la perte de substance et sareconstruction. au-dela de la technique, les aspects psycho-sociaux sont importants a considerer compte tenu des multiples repercussions esthetiques, fonctionnelles et psychologiques qu’occasionne une perte de substance maxillaire. Enfin, poser une prothese obturatrice n’est pas un geste medical anodin : il rentre dans un processus complexe d’hybridation a travers lequel le patient va apprendre a se reconstruire et faire face a son handicap. [2]

Bibliographie

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A propos de l'auteur

Antonin HENNEQUIN

Assistant hospitalo-universitaire Exercice libéral (Cahors)

Florent DESTRUHAUT

Maître de Conférences des Universités
Praticien Hospitalier
Expert près la Cour d’Appel de Toulouse

Sébastien ROUMI

Interne en médecine bucco-dentaire

Philippe POMAR

Professeur des Universités Praticien Hospitalier
Doyen de la Faculté d’Odontologie de Toulouse

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