Problématique
La Chirurgie Orthognathique ne doit s’entreprendre qu’avec une résolution finale en tête comprenant toutes les obligations imposées par nos savoirs concernant la longévité Parodontale 7,8, la stabilité occlusale et l’harmonie faciale à laquelle la beauté du sourire contribue. Ces dernières répondent à un certain nombre de contraintes que nous appellerons notre enveloppe thérapeutique.
En outre les traitements par voie d’abord lingual présentent, comme chacun sait, des difficultés particulières.
Certaines étant liées non seulement à l’irrégularité des surfaces linguales comparées aux surfaces vestibulaires, à l’accès de la zone de travail mais aussi à la hauteur des espaces amélaires encollables.
Ceux-ci sont compris, du moins au maxillaire, entre l’occlusion des cuspides d’appui et la limite cervicale gingivale.
Lorsque la chirurgie orthognathique doit être liée à cette orthodontie se pose le problème des rapports de l’appareil à l’ancrage chirurgical per-opératoire, au guide chirurgical et ou aux infrastructures d’expansion 2,3, l’ensemble représentant des couches superposées, ce qui est vecteur d’erreurs possibles.
Au surplus, cette chirurgie comporte souvent une modification intra-arcade : expansion palatine rapide aidée chirurgicalement à gradient d’expansion différentiel ou même une chirurgie de type maxillaire trois pièces liée ou non à un déplacement mandibulaire, la cohérence de l’ensemble vis-à-vis de l’insertion finale du guide chirurgical dans la phase précédent la synthèse osseuse relève de protocoles bien établis et ne souffre aucune imprécision « prothétique ». Car chaque erreur aura un retentissement important sur les suites orthodontiques post opératoires.
Les Grandes dysmorphoses sont souvent complexes et sont un mélange de dysmorphoses squelettiques et de compensations dento-alvéolaires qui ne sont autres que le moyen de conserver à l’appareil masticatoire son rôle fonctionnel vital.
Le retour à l’idéal intra-arcade est une obligation et une condition préalable au nouvel assemblage squelettique chirurgical. Or, il est plutôt difficile de pré visualiser soit les progrès orthodontiques possibles soit les améliorations squelettiques qui se passent en 3D sur deux éléments mouvants qui dépendent eux-mêmes d’une articulation dont on connaît la délicatesse.
Dans ce contexte, le sujet d’aujourd’hui est la gestion de la dimension verticale 1,6 et principalement de la dimension verticale antérieure, celle qui affecte directement le sourire, les problèmes de cette chirurgie-là échappent rarement au dictat de la prothèse orthodontique chirurgicale qui elle seule peut assurer la précision de l’assemblage du « Puzzle Chirurgical » et sa stabilité dans les cas d’expansion face aux puissantes fibres conjonctives et élastiques du manteau muqueux palatin qui ne manqueraient pas de conduire à une récidive transversale.
Il est également à noter que cette procédure permet de faire une chirurgie bimaxillaire en un seul temps opératoire avec une grande fiabilité et un confort opératoire qu’aucun chirurgien n’a démenti même si elle comporte une expansion palatine simple ou différentielle.
Il faudra au surplus que le guide chirurgical ait pris en compte un dernier élément : les arcs chirurgicaux qui dans les cas d’orthodontie linguale doivent par leur rigidité compenser la faiblesse des arcs linguaux qui ne sauraient supporter sans déplacement des dents (souvent à mobilité accrue lors du traitement) les tractions auxquelles sont soumis les fragments lors de la synthèse osseuse.
Mon protocole inclut la fabrication d’arcs chirurgicaux en acier TP19x26 pliés à la malocclusion et secondairement collés aux faces vestibulaires conjointement à des crochets clippés.
Enfin, puisque nous nous proposons de traiter les excès ou insuffisances verticales antérieures nous aurons besoin d’un modèle esthétique et de valeurs types.
Du point de vue esthétique et dans le cas de chirurgie incluant le maxillaire, force est de constater que la valeur du sourire est sous la haute dépendance du placement du maxillaire (J-F Tulasne ; Eric Solyom) 6. En effet, découvrir les rebords incisifs en bouche entrouverte (3-4mm) et découvrir au sourire non seulement les couronnes incisives mais aussi une petite bande de gencive attachée d’environ 2 mm est le gage d’un sourire jeune, attractif et durable 8. En effet, en vieillissant le masque facial s’abaisse sous l’effet de la gravité (Claude Lévy).
Ceci est fondamental car l’abaissement du maxillaire détermine de combien il faut l’avancer. Réciproquement, l’avancement souhaité peut déterminer la valeur de l’abaissement pour éviter un effet d’écrasement de l’étage moyen et ou une remontée de la pointe du nez lorsqu’elle n’est pas souhaitée 3,7.
Il s’ensuit que contrairement aux protocoles habituels qui consistent à placer la mandibule en premier geste, l’école de Paul Tessier et Jean-François Tulasne, dont je fais partie depuis 40 ans, privilégie le placement du maxillaire en premier geste.
Car le placement du maxillaire en premier geste est important dans la gestion du plan d’occlusion et du torque apparent qui sont sous la dépendance l’un de l’autre, sachant que le torque apparent détermine la longueur apparente qui n’est autre que la projection de la longueur vraie des incisives sur le plan facial (plan de Cocconi). Ceci agit directement sur l’apparence finale du sourire. Là, la chirurgie vole au secours de l’orthodontie par une procédure étiologique.
Dans ce cas clinique nous servant d’exemple, il s’agit d’une jeune femme de 35 ans venue consulter pour la résolution d’une malocclusion de Cl 2 asymétrique. Sa demande concernait la projection de ses incisives supérieures et la faible découverte de ses dents antérieures au sourire.
Directement adressée par son chirurgien maxillo-facial, on comprend que cette jeune femme avait déjà fait le diagnostic.
La procédure initiale a consisté à appareiller en premier lieu les arcades inférieure et supérieure dans les secteurs latéraux et d’équiper les secondes molaires supérieures d’attachements destinés à recevoir les forces distalantes adossées aux plaques vissées de type PAD*. S’est ensuivie la pose de vis supracrestales à la mandibule et de plaques vissées de Type PAD au maxillaire.
L’ambition à la mandibule étant de résoudre l’encombrement sans augmenter la projection incisive (angle IMPA). Ce dernier constituant un obstacle à l’avancée mandibulaire en Cl 1. S’ajoute aux procédures complexes précédemment citées, une chirurgie où l’appréciation 3D est particulièrement délicate.
Parmi ces procédures figurent la quantité d’épaction, la pose de greffes transmaxillaires et la détermination des sites donneurs des greffons, ici dans la symphyse mentonnière (ceci lorsque le placement d’os dit Bio Bank n’est pas indiqué).
Enfin, l’ajustage per-opératoire du guide chirurgical et de l’expanseur bi-vérin 1,2,3*** dont le nombre de tours d’expansion aura été préalablement déterminé lors du montage sur l’Orthognator ® (Interface Chirurgicale pour articulateur) seront déterminant pour pouvoir dans le second temps opératoire adapter la mandibule dans une position aussi proche que possible de la relation centrée sans prématurité et sans torque dans le plan frontal.
Le challenge étant d’aborder tous ces aspects et de faire les rapprochements qui s’imposent avec l’ambition de l’esthétique du sourire et des finitions de la relation occlusale finale.
On voudra cette occlusion en relation centrée exempte d’interférences non travaillantes 3 et si possible en protection canine sur le jeune adulte.
Conclusion
La chirurgie destinée à corriger les insuffisances verticales antérieures est une chirurgie qui s’adresse aux cas de béances antérieures chez l’adulte de tout âge (fig. 21) et à partir de 16-17 ans, mais aussi comme dans le cas n°1 aux dimensions sous nasales réduites qui donnent un aspect renfrogné ou plus âgé aux patients.
Leurs corrections par avancement et épaction 1 donnent de remarquables résultats mais conduit souvent à étendre cette chirurgie à la mandibule pour compenser l’avancée maxillaire nécessaire tout en tenant compte du recul apparent produit par la rotation horaire mandibulaire induite. Pour des raisons d’harmonie, ceci amènera donc souvent à devoir faire une chirurgie bi-maxillaire.
Parmi les améliorations marquantes, on peut noter le déplissement du sillon labio-mentonnier, celui des sillons naso-géniens du fait de l’avancée maxillaire, enfin, plus attendue , un meilleur soutien des lèvres et une éversion de la zone vermillon du fait de meilleurs rapports entre le rebord incisif des antérieures supérieures et de la lèvre inférieure. Dans les cas nombreux où cette chirurgie demanderait une expansion palatine, l’utilisation d’un expanseur bi-vérin et l’utilisation de l’Orthognator® permettant de modéliser le résultat, apportera précision, stabilité et confort per-opératoire ainsi qu’un pronostic grandement amélioré au prix de difficultés s’apparentant à celles de la prothèse de grande étendue.
Bibliographie
1. Tulasne J-F ; Vis et plaques vissées en chirurgie des maxillaires Réalités Cliniques 1 : 359-367.1990
2. pruvost J-L ; Apport des ciments verres ionomères en orthodontie et en occlusodontie. Réalités Cliniques Volume 2/ 1991 , P P : 373-382
3. pruvost J-L ; Utilisation des ancrages bimaxillaires coulés en orthognathie linguale. Lebanese Dental Journal Vol 33 N°2 1994 PP :101-123
4. pruvost J-L ; Les Ancrages dento-alvéolaires et squelettiques profonds. 1ere Partie Clinic :Janv 2013-Vol.34
5. pruvost J-L , Andreani J-F ; Les ancrages dentoalvéolaires et squelettiques profonds- 2° partie CLINIC : Février 2013 Vol.34 pp :71-79
6. Tulasne J-F , Solyom Eric ; Hyperdivergence squelettique Considérations Chirurgicales Revue Orthop Dento Faciale 2010 ; 44 : 333-351
7. Romano Rafi ; Texte book « The art of Treatment Planning :Dental and Medical Approaches to the Face and Smile ». Quintessence Publishing.2010
8. Saadoun André p. ; Texte book : « Esthetic Soft Tissue Management of Teeth and Implants » : 2013 Wiley-Blackwell a John Wiley & Sons , Ltd Publication
* P.A.D. est un acronyme pour Pruvost Andréani Deltex et correspond aux références 493 droite et gauche
** L’Orthognator® a été dessiné à l’aide de «Solid Works » de chez Dassault système en collaboration avec le Fablab « le Lorem » animé par Mr Christophe Divoire.Les quelques 30 pièces qui le composent
ont été fabriquées pour leur plus grande part à l’aide d’une imprimante 3D
*** Le Bi-vérin a été créé par mes soins en 1989 puis décrit par JF Tulasne 1 en 1990 et moi-même 3 en 1994
*** L’Expanseur Bi-vérin est une création du Laboratoire F.O.L. datant des années 90 ici exécuté par le Labo Dental Colon