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Rencontre avec Jean-Pierre Bernard

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Jean Pierre Bernard fait partie de leaders incontestés en implantologie. On le retrouve dans pratiquement tous les grands congrès internationaux. Il est le responsable du service d’implantologie chirurgicale de l’Ecole Dentaire de Genève dont tout le monde connaît le sérieux. Ses conférences sont extrêmement appréciées car toujours basées sur une réflexion approfondie et sur une analyse pleine de bon sens. S’il a été l’un des pionniers de la méthode chirurgicale en un temps, sa vision de l’implantologie n’est jamais sectaire et le dialogue toujours possible. Son évolution vers une implantologie simple, accessible à tous les praticiens a permis de démystifier cette discipline et la faire sortir du petit cercle élitiste initial. C’est donc un réel plaisir pour « Le Fil dentaire » de l’accueillir comme invité d’honneur de ce numéro spécial.

Nous n’avons pas de structure indépendante d’implantologie. Elle est réalisée et enseignée en collaboration avec les différentes disciplines intéressées : prothèse et chirurgie, parodontologie, orthodontie

Pr. Patrick Missika : Comment un Français devient-il chef du service d’implantologie de la Faculté de Genève ?

Pr. Jean-Pierre Bernard : Cette question m’amène à séparer deux points distincts :

Ma situation actuelle n’est pas celle de Chef de service d’Implantologie, mais de Professeur responsable de la Chirurgie Orale et de la Radiologie Dentaire et Maxillo Faciale dans le cadre du Département de Stomatologie, Chirurgie Orale et Radiologie Dentaire et Maxillo Faciale, dont le Professeur J. Samson est le responsable. Ma charge comprend également la responsabilité de l’implantologie au sein de l’activité de chirurgie orale. En effet, à l’école dentaire de Genève, nous n’avons pas de structure indépendante d’implantologie. L’implantologie, qui a pris une place de plus en plus importante dans notre activité au cours des dernières années, est réalisée et enseignée en collaboration avec les différentes disciplines intéressées : initialement prothèse et chirurgie, puis parodontologie, et plus récemment orthodontie.

La nomination au sein de l’Université de Genève d’un chef de service ou d’un professeur étranger n’est pas du tout une situation exceptionnelle. En effet, comme pour tous les postes universitaires, ceuxci sont ouverts à des candidatures internationales. A Genève, la médecine dentaire est une section de la faculté de médecine. Comme pour tous les postes de la faculté, le renouvellement ou l’ouverture d’un poste à la section de médecine dentaire est initialement évalué par une commission, qui en détermine le besoin et défini les caractéristiques de l’activité du futur responsable. Une commission est alors créée, comprenant des professeurs de la faculté de médecine, de la section de médecine dentaire et deux experts extérieurs, un national et un étranger. Des annonces de l’ouverture du poste et des caractéristiques exigées des candidats sont ensuite publiées dans des revues de la spécialité, suisses et internationales. Les candidatures sont ensuite évaluées par la commission, dont le rapport doit être accepté par le collège des professeurs de la faculté de médecine, et ensuite être validé par le rectorat de l’Université, puis par l’autorité politique qui effectue la nomination officielle.

Pr. P.M. : Pouvez-vous nous parler de l’enseignement de l’implantologie au sein de la section de médecine dentaire de Genève ?

Pr. J-P. B. : Au sein de l’école dentaire de Genève, l’enseignement de l’implantologie n’est pas réservé au troisième cycle mais effectué tant sur le plan clinique que théorique au cours des cinq années d’études pré-graduées. Lorsque je discute de ce sujet avec des collègues étrangers, la première question habituellement posée est la suivante : combien d’implants pose un étudiant avant son diplôme ?

Cette question correspond selon moi à une vision incorrecte de ce que représente l’implantologie dans le cadre de la médecine dentaire. En effet, elle semble limiter l’implantologie à sa partie chirurgicale et considérer que l’enseignement en implantologie se limiterait à apprendre à poser des implants. Cette vision, essentiellement chirurgicale, est à mes yeux une explication de la lenteur du développement de l’implantologie en médecine dentaire.

En effet, pour nous, l’implantologie n’est qu’un des moyens de traitement prothétique des édentements. La partie importante, lors de la formation, est d’en avoir compris les principes, les indications et modes d’utilisation dans le cadre du plan de traitement de chaque patient pris en charge ; c’est ce que nous réalisons à Genève depuis près de vingt ans.

C’est en 1987, à l’initiative du Pr. Urs Belser, chef du département de prothèse, qu’a été mis en place un groupe d’implantologie associant des collègues du département de prothèse et de chirurgie. Dès le début de l’activité clinique en 1989, des patients suivis dans les cliniques de l’école (centre de soin) par les étudiants en formation pré-grade (4e et 5e années de formation) ont été traités avec des implants. Depuis ce moment, les implants sont devenus un mode de traitement de plus en plus employé pour les plans de traitement des patients traités par les étudiants en formation pré-graduée, et représente actuellement le mode de traitement le plus utilisé dans toutes les situations d’édentement.

Dans le cadre de cette activité clinique, les étudiants, lors de la réalisation du plan de traitement, évaluent l’intérêt de l’utilisation d’implants, ils en discutent avec leurs patients, leurs donnant les informations sur les avantages et risques des différentes alternatives et réalisent les devis correspondants. Lorsque le choix d’une solution implantaire a été effectué, ils réalisent l’évaluation pré-chirurgicale clinique et radiologique et la discutent avec le collaborateur de l’enseignement qui réalisera la mise en place chirurgicale. L’étudiant qui suit ce patient participe habituellement à l’intervention de pose d’implant de son patient, ainsi qu’au suivi post opératoire. Après la période d’ostéo-intégration, c’est lui qui réalisera la partie prothétique dans le cadre des cliniques de prothèse de l’école. Sans que cela représente une éventualité fréquente, il est possible qu’un étudiant effectue lui-même la pose d’implants, assisté par un collaborateur de l’enseignement.

Parallèlement à cette activité clinique régulière, qui représente à mes yeux la partie la plus originale de notre programme, un enseignement théorique est donné par les différentes disciplines du domaine : prothèse, matériaux, chirurgie, parodontologie, orthodontie. Les étudiants réalisent des travaux pratiques de pose d’implants sur modèles plastiques. Ce domaine fait partie du programme d’examen de fin d’études.

Ainsi, le nouveau diplômé possède une connaissance théorique du domaine, mais surtout, il a intégré pratiquement l’utilisation d’implant comme possible moyen de traitement dans toutes les situations d’édentement. Il possède également les connaissances cliniques nécessaires à la réalisation de ce mode de traitement. Dès le début de son activité professionnelle, chaque nouveau diplômé intègre l’utilisation d’implants dans les plans de traitement des patients et choisi, selon ses souhaits et niveau de formation dans le domaine, de confier la partie chirurgicale à un collègue ou de l’effectuer lui-même dans son propre cabinet.

Pr. P.M. : Quelle est la nature de la relation entre la chirurgie et le département de prothèse ?

Pr. J-P. B. : Comme je l’ai expliqué, cette relation est excellente et quotidienne. C’est pour moi un des apports essentiels de l’implantologie au sein de notre école, qui a amené une collaboration clinique continue entre nos deux département, mais également avec les autres intervenants, comme la parodontologie ou l’orthodontie. Ce mode de fonctionnement, lié à la mise en route initiale de cette activité en collaboration avec le Pr. Belser, représente un élément très important et certainement favorable au résultat de l’enseignement. Il montre que l’implantologie n’est pas une activité spécifique mais fait appel à des connaissances de différents domaines, qui comme le reste des activités cliniques en médecine dentaire, peuvent être réunies dans le cadre d’une pratique généraliste.

Bien évidemment, l’ensemble des disciplines concernées, prothèse, chirurgie, parodontologie, orthodontie, intègre une partie d’implantologie dans le cadre de leurs programmes de spécialisation, ce qui permet aux candidats qui le souhaitent d’obtenir une formation plus importante, dans le but d’une activité plus spécialisée ou d’une carrière universitaire.

Pr. P. M. : Comment voyez vous l’implantologie dans un futur proche ?

Pr. J-P. B. : Les données de la littérature scientifique des vingt dernières années ont démontré la fiabilité à long terme des techniques implantaires dans toutes les situations d’édentement. L’évolution des matériels et des techniques auxquels nous avons également activement participé a rendu ce mode de traitement plus simple et a très nettement diminué les durées de réalisation. Ces progrès permettent également une évolution favorable des coûts de réalisation des traitements. Dans notre région, ces coûts les rendent aujourd’hui comparables, voire inférieurs aux traitements prothétiques «conventionnels » sur pilier naturels. L’utilisation régulière d’implants dans les traitement prothétiques réalisés par les étudiants au cours de leur période de formation, leur en fait prendre conscience de façon personnelle et pratique. Cela les amène à une utilisation de plus en plus fréquente de ce type de traitement des le début de leur activité clinique professionnelle. Les résultats favorables et la satisfaction des patients ne font ensuite que rendre cette utilisation plus importante.

Je pense que cette évolution se fera de la même façon dans toutes les régions où le changement des modes d’enseignement fera de l’implantologie une des techniques de traitement de base pratiquée sur le plan clinique pendant la période de formation ; et non plus une technique complémentaire à forte composante chirurgicale, dont l’utilisation n’a pas été intégrée au cours de la formation initiale, ce que représente encore aujourd’hui la formation pratique essentiellement post grade de l’implantologie dans de nombreux pays.

Pr. Patrick Missika : La Suisse est le pays ou l’on pose le plus d’implants par rapport au nombre d’habitants, comment expliquer cela ?

Pr. J-P. B. : Cette réalité correspond certainement à plusieurs particularités. Comme pour la Suède, la Suisse, du fait des travaux sur l’ostéo intégration du Professeur André Schroeder de l’Université de Berne, parallèles à ceux du Professeur Branemark à Goteborg, a été un des pays pionniers du domaine. La réussite de Straumann correspondant à celle de Nobel est là aussi un point de similitude avec la Suède. Ces éléments participent à l’explication d’une utilisation importante d’implants en Suède et en Suisse.

Les conditions socio-économiques suisses ont probablement aussi été un élément favorable, mais des critères professionnels ont sûrement aussi été déterminants. La petite taille du pays, des relations régulières et de qualité entre les universités, les organisations professionnelles et les praticiens, en particulier dans le cadre de la formation continue, ont permis très rapidement, de transmettre aux praticiens qui avaient déjà terminé leur formation, les éléments leur permettant d’initier cette activité dans leur pratique. La formation des nouveaux diplômés depuis près de 20 ans ayant certainement aussi largement participé.

Pour toutes les écoles suisses, à Bale, Bern, Zürich et pour nous de façon évidente à Genève, la formation pré et post-grade que nous avons effectuée a toujours eu pour but de présenter des choix de matériels et de techniques tendant à simplifier la réalisation de l’implantologie, justement pour la rendre accessible au maximum de praticiens et de patients. Les résultats constatés semblent démontrer la validité de ces choix.

En effet, les mêmes études montrent que la Suisse est le pays où il se pose le plus d’implants par praticiens, et aussi où le plus de praticiens pratiquent l’implantologie. Pratiquement tous les praticiens, pour ce qui est de l’utilisation prothétique, et une large proportion pour la partie chirurgicale. En effet, progressivement, avec un accompagnement clinique adapté, les praticiens réalisant initialement la partie prothétique pour une large part effectuent ensuite la pose d’implants dans leur cabinet. Cette situation confirme bien la réflexion initiale. Il n’est absolument pas nécessaire que les étudiants posent un nombre déterminé d’implants pendant leur période de formation pour qu’ils puisent le faire ensuite dans leur pratique.

Pr. P.M. : Y a-t-il d’autres systèmes que Straumann utilisés en Suisse et à la Faculté de Genève ?

Pr. J-P. B. : Pour la Suisse, c’est bien évidemment le cas. Tous les grands systèmes implantaires internationaux sont représentés sur le marché. Il existe toutefois des différences liés au conditions de développement ancien de l’implantologie en Suisse, ce sont les premiers grands systèmes Nobel et Straumann présents depuis plus de 20 ans qui sont le plus employés. Pour l’Université de Genève, il est évident que l’utilisation du système Straumann y est fréquemment associée, ce qui correspond à une réalité. Là aussi, cette prédominance qui peut paraître aujourd’hui surprenante pour une université, doit être placée dans son contexte historique. Lorsque en 1987, avec le Pr. Belser, nous avons décidé de mettre en route une activité clinique et d’enseignement en implantologie, nous avons initialement effectué un bilan des connaissances scientifiques établies à l’époque et des différents système existants.

Après cette évaluation, lorsque nous avons décidé d’utiliser pour la mise en route de notre programme le système Straumann, même si il s’agissait d’une société suisse, ce qui aurait déjà pu être un élément compréhensible pour une université du même pays, nous n’avons pas choisi un fabricant, mais un concept de traitement.

Le système Straumann présentait des particularités très différentes du système de référence internationale de l’époque, qui était le système Nobel. Il est assez habituel dans le domaine d’implantologie d’évoquer la notion d’école scandinave et d’école suisse.

Notre choix du système Strauman a été celui d’un système d’implants de titane à surface rugueuse, prévus pour être utilisés de façon non submergée en un seul temps chirurgical et privilégiant les implants courts. Ces implants disposaient également d’une convexion interne conique et d’éléments prothétiques permettant le scellement. Ces caractéristiques s’opposaient pratiquement point par point à ce qui était proposé comme les éléments essentiels au succès de l’osteointégration par le système Nobel. Il s’agissait donc d’un choix de concept, beaucoup mieux adapté à notre volonté de large développement de l’implantologie et qui a nécessité une activité scientifique soutenue pour en valider la fiabilité. Dans ces conditions, nous avons très majoritairement utilisé le système Straumann et n’avons utilisé d’autres systèmes comme le système Nobel que dans le cadre d’études cliniques ou animales.

Avec les années, ce domaine a peu a peu changé et les conceptions initialement critiquées du système Straumann sont aujourd’hui universellement acceptées. Les différents systèmes proposés ne présentent plus ces différences fondamentales et suivent globalement les concepts proposés initialement par Straumann et l’ITI (International Team for Implantology) auquel nous participons depuis 20 ans. Cette évolution nous montre que nos réflexions initiales sont maintenant validées par la communauté scientifique et qu’elles ont probablement aussi contribué de façon favorable au développement de l’implantologie en Suisse, en mettant à la disposition des praticiens des techniques plus simples et plus accessibles.

Aujourd’hui, l’ensemble des systèmes commercialisés ayant adopté les concepts initiaux de l’ITI, nous n’avons plus de limite à l’utilisation d’autres systèmes et utilisons la majorité des grands systèmes proposés, soit dans des indications spécifiques pour lequel l’un d’entre eux nous parait mieux adapté, soit dans le cadre d’études cliniques multi-systèmes.

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A propos de l'auteur

Dr. Patrick MISSIKA

MCU PH
Faculté de chirurgie dentaire université Paris 7
Vice-doyen
Directeur du diplôme universitaire d’implantologie
Professeur associé TUFTS Boston university
Expert national agréé par la Cour de cassation

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