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Rencontre avec le Dr Serge Szmukler-Moncler

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Tout d’abord, Serge Szmukler-Moncler pourriez-vous nous présenter votre parcours professionnel ainsi que le panorama de vos activités actuelles ?

Je suis diplômé de la faculté de Chirurgie dentaire de Strasbourg depuis 1982. J’ai découvert la recherche par hasard quand il fut question de faire la thèse d’exercice.

Il y avait à l’époque une collaboration naissante entre le Dpt. de Stomatologie et Chirurgie maxillo-faciale et le laboratoire de Minéralogie qui a intégré ultérieurement l’Institut de Physique et de Chimie des Matériaux de Strasbourg (IPCMS). Mon sujet de thèse portait sur la corrosion des plaquettes d’ostéosynthèse utilisées pour la réduction de fractures de la face réalisées au service du Pr. Champy. Après la thèse, j’ai suivi un cursus menant au doctorat en Sciences des Matériaux dans ce laboratoire, sur le thème du revêtement en couches minces.

Après ma thèse en physique, j’ai effectué un post-doc à l’université de Lausanne dans le Dpt. de Physique du Pr. Steinemann puis 2 ans à Nantes auprès du Pr. Daculsi à travailler sur les revêtements bio-actifs. Entre 1992 et 1997, j’ai été chef de projet chez Straumann, j’y ai travaillé sur les nouvelles surfaces, le SLA à l’époque et la mise en charge immédiate. C’était le temps épique où le 1-temps implantaire était décrié. À partir de 1998, j’ai débuté une activité de consultant international en biomatériaux et en implantologie à Bâle (Suisse).

Depuis 1994, je suis professeur-associé au DU d’implantologie de la Pitié-Salpétrière de l’université UPCM Paris VI créé par les Prs. Dubruille Jean Herman et Marie-Thèrèse, où j’enseigne depuis 1987, ainsi que Visiting-professor auprès de l’université de Milan avec le Pr. Testori en charge de l’implantologie dentaire à l’Institut Orthopédique Galeazzi.

Quoique n’exerçant pas directement en clinique, je travaille étroitement depuis toujours avec des praticiens en Suisse, en France et en Italie. J’ai été parmi ceux qui ont participé à repenser et à « dé-diaboliser » la mise en charge immédiate en publiant divers articles, les premiers en 1996 et 1998. Plus récemment, un manuel sur la mise en charge immédiate avec le Dr. Davarpanah publié en français en 2007 est sorti en anglais en 2008 chez Quintessence. Mon champ d’activité couvre les états de surface, les biomatériaux, la piezo-chirurgie que je nomme plus volontairement chirurgie ultra-sonique avec laquelle nous extrayons des dents et nous posons des implants, ainsi que l’implantologie assistée par ordinateur (IAO). Je peux encore citer une méthode d’explantation non invasive d’implants fracturés par thermo-explantation, la réalisation de soulevé de la membrane sinusienne sans ajout de substitut osseux et l’ingression de molaires en utilisant des implants antagonistes sans adjonction de mini-vis. En fait, tout ce qui permet de simplifier l’implantologie et repenser ses concepts me passionne.

Vous avez déjà écrit plusieurs articles dans des revues internationales sur la possibilité de poser des implants dans des situations « non conventionnelles ». Pourriez-vous nous expliquer de quels types de situation vous parlez dans ces articles ?

Les indications de cette pose « non conventionnelle » d’implants, en anglais un conventional implant placement sont au nombre de 3. Il s’agit des dents ankylosées, des dents incluses, le plus souvent des canines au maxillaire et des racines résiduelles asymptomatiques, recouvertes par du tissu osseux. Dans toutes ces indications, la pratique actuelle requiert une chirurgie invasive avant de poser les implants. L’extraction d’une dent ankylosée porte souvent atteinte à la table vestibulaire qui est nécessaire pour assurer le soutien des tissus mous lorsqu’il y a un enjeu esthétique. Malheureusement, les dents les plus souvent ankylosées se trouvent au maxillaire antérieur. Il en va de même pour les dents incluses, où les canines maxillaires sont les plus fréquentes. Avec le Dr. Davarpanah, nous avons vu de nombreux cas d’extraction de canines incluses se terminant par des greffes, ramiques la plupart, pour recréer un volume osseux suffisant. Passer au travers de ces dents incluses nous permet de traiter les patients de manière non invasive. La radiographie sectionnelle scanner ou cone beam couplée avec un logiciel de simulation nous permet de bien faire connaissance avec le site et ses subtilités avant de le traiter. Cette nouvelle solution ne s’impose pas automatiquement, il faut savoir raison garder. Dans certains cas, elle est évitée, comme par exemple lorsqu’un kyste est soupçonné ou en présence d’un épaississement de tissu fibreux péri-radiculaire. De même, une certaine hauteur osseuse est requise entre la canine incluse et la crête alvéolaire pour se lancer dans la pose trans-radiculaire de l’implant.

Comme notre expérience clinique est encore limitée, il reste encore à bien définir les indications et contre-indications de cette nouvelle approche.

Comment vous est venue l’idée de ce type d’intervention ? Est-ce une réflexion a posteriori, ou avez-vous spécifiquement développé un axe de recherche ?

C’est la nécessité qui est mère de toutes les inventions. Au début, cette approche inédite a été mise en place pour tenter de venir à la rencontre des patients et leur proposer une intervention la plus simple possible, tout en tentant de les soulager au plus vite. Cela ne peut avoir lieu que lorsque le praticien est expérimenté et sait réagir de la manière la plus adéquate en cas de difficulté, ce qui est le cas du Dr. Davarpanah. Le patient connaît bien entendu le caractère exceptionnel de la démarche et il sait qu’en cas d’échec il sera toujours temps de revenir à la voie classique, qui, elle, est invasive.

La réflexion ou l’axe de recherche comme vous le dénommez ne s’ouvre que lorsqu’un premier cas n’a pas abouti à un échec et qu’un second cas qui s’est présenté entre-temps a reçu le même traitement avec succès.

Ce n’est qu’alors que ceux qui ont de l’expérience comme nous l’avons avec le Dr. Davarpanah et qui connaissent les dogmes de l’implantologie se trouvent interpellés par la réalité et tentent de comprendre les enjeux conceptuels sous ce succès. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé avec la mise en charge immédiate dans les années 90. Vous faites un premier cas par nécessité pour répondre à un besoin très précis, puis un second et vous voyez que le ciel ne vous tombe pas sur la tête comme on vous en avait menacé. C’est alors que la réflexion sur les principes se met en place. Il faut savoir que la réflexion est animée de doutes et parfois la pensée que vous « poussez le bouchon trop loin » vous assaille au moment où le sommeil vient à vous. Alors oui, aujourd’hui, on peut dire que cela est devenu un axe de recherche, prioritaire et passionnant et c’est la raison aussi pour laquelle j’ai pensé à interpeller et à solliciter la communauté dentaire française.

Avez-vous étudié la liaison histologique entre la dent et les implants quand vous posez un implant à travers une canine. Quelle est-elle?

Nous n’avons pas encore effectué de recherche histologique systématique sur ce sujet car cela nécessite un projet de grande envergure et c’est fort coûteux. Mais, j’ai eu l’occasion de voir le caractère non pathologique de ce type d’interface mixte os-implant et dentine-implant sur quelques coupes histologiques que nous avions faites avec le Pr. Perrin de Dijon dès 1997, après des extractions incomplètes menées sur des cochons fermiers. On trouve aussi dans la littérature suffisamment d’information pour en tirer de premières conclusions.

Ces études datent des années 90 quand certains auteurs ont tenté de créer un ligament alvéolo-dentaire autour des implants. Ils ont alors placé des implants au contact de racines dentaires chez le chien et de l’histologie sans mise en fonction existe à 3 et 12 mois (Buser et al. 1990, Warrer et al. 1993). Plus tard, une autre étude (Gray et Vernino 2004) portant sur 10 implants mis en charge durant 3 mois après 2 mois de cicatrisation chez le singe a aussi montré l’absence de caractère pathologique ou inflammatoire de cette interface triplement mixte, c’est-à-dire :

  1. interface os-implant classique
  2. interface ligament-implant
  3. cément-implant.

Ces interfaces avaient été obtenues par hasard suite à la survenue inopinée de fractures de racine lors de l’extraction des dents chez l’animal. Elles ont toutes montré le caractère non pathologique de l’intégration des implants, avec ostéointégration et obtention des trois interfaces que je viens de citer.

Vous voyez que bien que personne n’ait pensé jusqu’à présent à faire une étude spécifique sur ce thème, il existe quand même des arguments histologiques suffisamment probants. Cela souligne d’ailleurs le bienfondé des publications portant sur un ou plusieurs cas, car on ne sait jamais comment elles seront exploitées dans le futur. En fait, quand un implant est posé au contact de la racine, à proximité immédiate du ligament alvéolo-dentaire, du tissu fibreux se forme à la surface de l’implant ; plus à distance, une mince couche de tissu néo-cémentaire sépare la dentine de la surface implantaire. Le reste de l’interface os-implant n’est pas affecté. C’est la raison pour laquelle nous recommandons dans les articles que nous avons publiés de mettre au moins 50 % de la surface implantaire au contact du tissu osseux. Cette estimation est rendue accessible par la simulation implantaire car il est possible d’évaluer les zones de contact anticipées avec l’implant.

Combien de cas avez-vous déjà réalisés et quel est votre taux de succès actuel ?

Nous avons une casuistique qui repose sur nos cas avec le Dr. Davarpanah mais aussi avec d’autres collègues.

En tout, nous disposons de 8 implants posés à travers des dents ankylosées et 14 implants posés au contact de dents incluses avec un seul échec, un implant court de 8,5 mm sur le premier patient car à l’époque, le Dr. Davarpanah n’avait pas osé passer totalement au travers de la canine alors que la hauteur osseuse disponible sous la canine était trop faible. Le contact avec des racines résiduelles recouvertes de tissu osseux concerne 9 implants. En revanche, lors de la communication avec la cavité buccale, des échecs ont eu lieu. De là vient notre exigence de racines résiduelles asymptomatiques, ne présentant pas d’image particulière à la radiographie et totalement recouvertes de tissu osseux.

Vous avez souhaité développer votre recherche en faisant à l’aide du « Fil Dentaire » un « appel à témoin » pour rassembler un nombre de cas importants. Pensez-vous centraliser les cas dans un cabinet ou lancer une étude multicentrique en servant de base logistique à tous les praticiens qui voudraient y participer ?

Tous les praticiens du monde sont confrontés à 3-4 patients par an qui seraient susceptibles de bénéficier de cette nouvelle approche thérapeutique. Trois à quatre cas par an, c’est fort peu pour un cabinet mais quand tous ces patients sont réunis, cela en fait des dizaines de milliers par an de par le monde. D’où l’idée de réunir nos forces entre collègues avec le projet de proposer cette thérapeutique au plus grand nombre de praticiens ayant des patients qui répondent aux indications que je viens de souligner. Mon souhait est de documenter ces cas et de centraliser les informations cliniques pré-opératoires et post-opératoires dans le cadre d’un travail prospectif de type multicentrique, où chaque praticien participera avec le nombre de patients qu’il jugera bon de traiter de la sorte. Le suivi minimum sera d’au moins 1 an avec documentation clinique et radiographique.

Cela aboutira à une publication multicentrique dans un magazine international reconnu.

Ce projet peut s’articuler de 2 manières distinctes en s’adressant :

  1. à des collègues en implantologie
  2. à des omnipraticiens qui n’ont pas de référant en implantologie.

Nous pouvons soit réaliser le traitement à Paris nous mêmes, mais nous n’y tenons pas particulièrement, soit le faire de concert avec les collègues implantologistes.

Dans tous les cas, les indications et contre-indications du cas seront discutées avec le collègue qui fera l’intervention.

Cela se fera après une radiographie scanner ou cone beam et une simulation implantaire avec le Simplant qui est compatible avec presque tous les systèmes implantaires. Si le cabinet se trouve en région parisienne, je suis prêt à me déplacer pour documenter et iconographier l’intervention.

Je sais aussi qu’un certain nombre de cas ont déjà été traités de la sorte par des collègues, qui pensent d’ailleurs qu’ils ont fait quelque chose dont ils ne devraient pas être particulièrement fiers. J’en ai eu l’exemple à l’ADF 2009 où j’en ai parlé devant 200 personnes. À la fin de la session, plusieurs sont venus et m’ont dit avoir posé par erreur des implants au contact de racines résiduelles ou au travers de canines incluses.

Ces implants allaient bien et j’ai reçu leur documentation à 1 an. Je souhaite aussi que tous ceux qui ont eu ce genre « d’incident » me contactent pour en discuter et pour réunir une documentation la plus large possible.

C’est une occasion unique de voir transformer ce que l’on pensait être un échec en un traitement plutôt avant-gardiste, c’est assez cocasse, n’est ce pas ?…

Pour ce type d’intervention faut-il disposer de matériel supplémentaire, je pense notamment au forage de la canine ?

Il n’y a absolument pas besoin d’un quelconque matériel supplémentaire. La sensation de forage au travers de la racine peut au plus donner lieu à une sensation d’os dense de type I.

Combien de cas souhaitez-vous rassembler pour cette étude et à partir de quand pourra-t-on considérer que cette technique fait partie des données acquises de la science ?

Pour faire partie de la science reconnue, il faudrait au minimum 2 études multi-centrées randomisées avec 100 patients et un suivi de 5 ans au moins. Mais nous n’en sommes pas là car cela serait un projet lourd du type universitaire avec des fonds de fondation. Pour ce projet d’étude française, l’idéal serait d’obtenir 70 cas par indication, c’est-à-dire un total de 210 patients.

Pourquoi 70 ? Car 70 cas au début de l’étude devraient permettre de terminer avec 50 cas à 5 ans de suivi par indication qui sont, je le rappelle, les dents ankylosées, les dents incluses et les racines résiduelles. Cette exigence est celle de la FDA américaine pour homologuer un nouveau traitement. Je ne me fais pas trop d’illusions mais plus il y aura de cas et plus je serai content et plus cette nouvelle approche sera reconnue et appliquée au bénéfice du plus grand nombre de patients.

Cela sera sans doute comme pour la mise en charge immédiate avec ses supporters et ses détracteurs mais je pense en l’occurrence que la science est en marche et que c’est un plaisir que de l’accompagner et de cheminer à ses côtés. Très rapidement, nous serons fixés sur l’efficacité de cette nouvelle approche car de nombreuses études ont montré que quand les implants sont ostéointégrés et ont passé le cap de la première année, il y a peu de chance d’avoir des échecs au cours des années suivantes. Je vous propose d’ailleurs de vous tenir régulièrement au courant de la progression de l’étude, du nombre de cas réunis sous observation ainsi que de toute complication ou échec.

Je vous remercie vivement d’avoir donné suite à ma démarche singulière que vous avez si joliment nommé « appel à témoin » et je remercie d’avance tous ceux qui me contacteront et m’accorderont leur confiance dans ce projet. Je crois que nous avons tous à y gagner, la science, en ouvrant de nouvelles indications jusque là verrouillées, les patients, en recevant un traitement non invasif et les praticiens, en ayant la satisfaction d’avoir proposé un traitement innovant et non invasif à leurs patients.

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A propos de l'auteur

Dr. Serge SZMUKLER-MONCLER

Groupe de recherche de l’EID
Prof. ac. Université de Cagliari, Consultant Ettingen-Basel (CH)

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