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Conflit Patient/Praticien

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Expertise judiciaire

Cet article est issu d’une expertise judiciaire dont nous avons gardé les éléments les plus intéressants. Dans un conflit entre un patient et son praticien, la mission d’expertise, confiée par le magistrat, demande toujours de reconstituer les faits ayant mené à la présente procédure. Reconstituer l’ensemble des faits ayant conduit à la présente procédure :

Procédure

Selon les dires des Docteurs « Chir-Impl » et « Prot-impl », Monsieur « Trèsdéçu » aurait consulté pour des douleurs au niveau de la première molaire supérieure gauche (26) en Octobre 2003. Ce point est vivement contesté par Monsieur Trèsdéçu. Pour des raisons personnelles, il a été contraint de choisir un chirurgien-dentiste plus proche de son domicile. Son précédent praticien était le Docteur « Ancien Dentiste » dont il était très satisfait depuis une quinzaine d’années. Il aurait consulté unique- ment pour un contrôle de routine car ayant consulté son précédent dentiste il y a un an, celui-ci n’avait rien décelé d’anormal. Il affirme ne pas avoir ressenti de douleurs au niveau de la dent concernée (26).

Une radiographie panoramique a été réalisée le 2 juillet 2003, qui permet de déterminer l’état antérieur. Le 14 octobre 2003, consultation du Docteur Prot-impl pour douleur au niveau de la première molaire supérieure gauche (26), point contesté par Monsieur Trèsdéçu. Le Docteur Prot-impl décide que la couronne métallique sur la première molaire supérieure gauche (26) doit être déposée.

Le 28 janvier 2004, nouvelle consultation. Monsieur Trèsdéçu déclare « que le Docteur Prot-impl a diagnostiqué un certain nombre de pathologies qui justifiaient la mise en œuvre d’un plan de traitement important». Monsieur Trèsdéçu maintient « qu’il n’avait pas de douleurs à cette date ». Le Docteur Prot-impl dépose la couronne sur la première molaire supé- rieure gauche (26) le 28 Janvier 2004. Il dépose également la reconstitution à l’amalgame et le petit tenon vissé (screw post) qui sert de moyen de rétention dans la racine palatine. Après nettoyage de la carie, le ni- veau de la dent serait situé, selon le Docteur Prot-impl, sous la gencive. Il aurait alors demandé l’avis de son associé, le Docteur Chir-Impl, qui est plus spécialisé en chirurgie et implantologie sur la conservation de cette dent. Le Docteur Chir-Impl aurait déclaré « que cette dent n’était pas récupérable »

Un devis du 6/02/2004 été remis pour la pose d’un implant (x €) et ultérieurement, le 20 juillet 2004, pour une couronne sur implant (pilier + couronne y €). Le 4 février 2004, le Docteur Chir-Impl procède à l’extraction de la 1ère molaire supérieure gauche (26)

Le 11 mai 2004, soit trois mois après l’extraction, contrôle clinique et réalisation d’une radiographie rétro alvéolaire de contrôle de la cicatrisation osseuse. Le Docteur Chir- Impl a estimé après son examen clinique et au vu de cette radio « que la crête osseuse était suffisamment large et que la hauteur d’os était faible mais suffisante pour poser un implant large 6 mm et court 10 mm ». Le 25 mai 2004, l’implant a été mis en place. L’implant est placé en un seul temps opératoire, avec son pilier de cicatrisation. Il s’agit d’un implant d’une longueur de 10 mm, et diamètre 6 mm. Cet implant est de marque connue et d’excellente notoriété. Des contrôles cliniques sont réalisés à dix jours, pour le retrait des fils de suture, puis le 7 juin 2004 et le 8 juillet 2004 avec une radiographie.

L’intégration osseuse de l’implant étant obtenue, selon le Docteur Chir-Impl, il adresse un courrier le 11 juin au Docteur Prot-impl pour l’informer du type d’implant et de la durée de mise en nourrice, six mois (temps de ci- catrisation avant la pose de la couronne). Le 4 janvier 2005, le Docteur Prot-impl réalise l’empreinte par la méthode dite « pick-up », classique en implantologie. Il réalise une radiographie de contrôle de la bonne connexion du transfert d’empreinte, le 4 janvier 2005. Le 19 janvier 2005, le Docteur Prot-impl pose une couronne céramo métallique transvissée, c’est-à-dire vissée directement dans l’implant. Le 31 janvier 2005, a lieu une consultation « post traitement » pour faire le point après le traitement dentaire. En février 2005, soit deux semaines après la pose, la couronne commence à bouger. Monsieur Trèsdéçu consulte le Docteur Prot-impl. Une radiographie, réalisée le 24 février 2005, montre une perte du niveau osseux de 50% de la hauteur de l’implant, ce qui est anormal.

Le 3 mars 2005, soit un mois et demi après la pose de la couronne, l’implant et la couronne sont expulsés spontanément, lors du petit déjeuner. Le Docteur Chir-Impl procède au curetage et au comblement du site implantaire. Monsieur Trèsdéçu confirme « que le Docteur Chir-Impl lui a proposé oralement de remettre en place un autre implant, sans honoraires supplémentaires ». Le Docteur Chir-Impl prescrit un scanner pour évaluer le volume osseux disponible. Il adresse ensuite Monsieur Trèsdéçu en consultation au Docteur Gorge, ORL, pour avoir son avis sur l’état du sinus maxilaire. Monsieur Trèsdéçu déclare, pour sa part, avoir été choqué de ne pas avoir des nouvelles des Docteurs Prot-impl et Chir-Impl. Il ajoute être passé à plusieurs reprises au cabinet, sans être reçu par les praticiens. Il déclare « avoir été reçu par une des assistantes ». Monsieur Trèsdéçu considère qu’il n’y a pas de suivi de son problème et décide de suspendre le traitement. Monsieur Trèsdéçu décide donc d’assigner les Docteurs Chir-Impl, et Prot-impl devant le Tribunal de Grande Instance de Paris.

Connaître l’état médical du demandeur avant les actes critiqués

L‘état de Monsieur Trèsdéçu peut être déterminé :

  • d‘une part, grâce à un certificat de son précédent chirurgien-dentiste, le Docteur Ancien Dentiste, qui a établi un certificat daté du 22 avril 2006.
  • d‘autre part, grâce à une radiographie panoramique réalisée par le Docteur Prot-impl, lors des soins de la deuxième molaire supérieure gauche 27.

La première molaire supérieure gauche, avant les soins critiqués, était donc dépulpée avec un traitement et une obturation canalaire radiologiquement satisfaisante. La dent comporte un ancrage radiculaire de type faux moignon avec un pivot et une couronne céramo métallique réalisée par le Docteur Ancien Dentiste. Cette dent ne présentait aucun symptôme pathologique depuis la pose de cette couronne.

Consigner les doléances du demandeur Monsieur

Trèsdéçu est mécontent du résultat du traitement, en raison de l‘expulsion spontanée de l‘implant et de la couronne céramo métallique un mois et demi seulement après la pose de la couronne. Il critique également l‘indication d‘extraction de la première molaire supérieure gauche qui ne lui provoquait aucune gêne. Il reproche également aux deux praticiens l‘absence de suivi, il avait « l‘impression d‘être abandonné ». Il reproche de plus d‘avoir été reçu uniquement par une assistante, et non par les praticiens, ce qui a accentué son mécontentement.

Préciser les éléments d‘information…

…fournis au demandeur préalablement à son consentement aux soins critiqués. Il est extrêmement difficile de dire avec précision les éléments d‘information fournis à MonsieurTrèsdéçu par les Docteurs Chir-Impl et Prot-impl, tant leurs versions des faits sont contradictoires : l‘expert ne dispose d‘aucun document objectif pour préciser les éléments d‘information. La fiche médicale des deux praticiens ne comporte aucune annotation concernant les différentes propositions thérapeutiques.

Cependant, il paraît établi que l‘éventualité d‘un échec ou d‘une complication implantaire n‘a pas été abordée, de même que la manière dont cet échec ou cette complication serait gérée et plus particulièrement, l‘aspect financier de cette extension de traitement. C‘est ce qui peut expliquer le désarroi de MonsieurTrèsdéçu, qui a eu, comme il l‘a déclaré, « un sentiment d‘abandon » . Il semble que l‘information de ce point particulier de la survenue éventuelle et de la gestion des complications ait été insuffisante, voire absente.

L’examen clinique

L‘étape qui suit est de procéder à l’examen clinique de manière contradictoire, du demandeur et de décrire les lésions et séquelles directement imputables aux soins et traitements critiqués. L‘examen clinique indique :

Examen exo-buccal :

L’examen exo buccal est normal. Le trajet d’ouverture est normal. L’amplitude entre les points inter-incisifs est de 42 mm, donc normale.

Examen endo-buccal :

Cet examen indique essentiellement l‘absence de la première molaire supérieure gauche. L‘occlusion en in-

tercuspidie maximale est correcte, mais très serrée. On note des facettes d‘usure au niveau de la canine supérieure gauche (23) lors du passage de la canine inférieure, (lors des mouvements de latéralité), ce qui serait évocateur d‘une parafonction.

Les séquelles du traitement réalisé par les Docteurs Chir-Impl et Prot-impl consistent en :

  • l‘extraction de la première molaire supérieure gauche (26),
  • la pose d’un implant endo-osseux par le Docteur Chir-Impl,
  • la pose d‘une couronne céramo métallique par le Docteur Prot-impl,
  • l‘expulsion précoce de l‘ensemble implant et couronne céramo métallique.

Par conséquent, MonsieurTrèsdéçu présente un édentement au niveau de la première molaire supérieure gauche (26). Le volume osseux, qui était déjà faible avant la pose de l‘implant, est actuellement insuffisant pour re- mettre en place un autre implant, sauf à réaliser un comblement du sinus.

La justification des traitements

Les actes et traitements médicaux étaient-ils pleinement justifiés ? Il est impossible de répondre avec certitude à cette question, tant les versions des faits sont contradictoires. En effet, pour les praticiens, MonsieurTrèsdéçu serait venu les consulter pour une douleur au niveau de la première molaire supérieure gauche (26). Dès lors, la démarche thérapeutique est logique : dépose de la couronne céramo métal ancienne,

dépose de la reconstitution coronaire à l‘amalgame, constatation d‘un délabrement coronaire très important atteignant le niveau sous gingival au niveau proximal (entre la 26 et la 27). Puis, confirmation de l‘indication d‘extraction de cette dent par le Docteur Chir-Impl et décision d‘extraction.

L‘Expert relève cependant que le Docteur Prot-impl ne peut fournir la radiographie rétro alvéolaire de la première molaire (26), après dépose de la reconstitution coronaire à l‘amalgame, ce qui aurait permis de confirmer et d‘objectiver son diagnostic.

Pour MonsieurTrèsdéçu, il ne présentait aucu- ne douleur au niveau de cette molaire et serait venu consulter pour un simple contrôle. Dans cette hypothèse et en l‘absence de radiogra- phie rétro alvéolaire objectivant une reprise de carie, la dépose de la couronne ne serait pas justifiée, de même que la suite de la sé- quence thérapeutique incluant l‘extraction et la pose de l‘implant.

L‘analyse des actes

Il s‘agit de dire si ces actes et soins ont été attentifs, diligents et conformes aux données acquises de la science médicale ; dans la négative, l‘expert doit analyser de façon motivée la nature des erreurs, imprudences, manque de précautions, négligences pré, per ou post opératoires, maladresses ou autres défaillances relevées.

Les actes effectués par le Docteur Prot- impl, à savoir :

  • La dépose de la couronne ancienne sur 26,
  • la dépose de la reconstitution amalgame sur 26, puis après, la pose de l‘implant par le Doc- teur Chir-Impl,
  • la réalisation de la couronne céramo métallique sur implant, ont été attentifs et diligents, sauf après l‘expulsion de la couronne et de l‘implant.

Les actes effectués par le Docteur Chir-Impl, à savoir :

  • l‘extraction de la première molaire supérieure gauche (26),
  • la pose de l‘implant après cicatrisation osseuse, ont été attentifs et diligents, sauf après l‘expulsion de la couronne et de l‘implant.

En effet, les Docteurs Prot-impl et Chir-Impl ont correctement envisagé la gestion de cette complication du traitement sur le plan strict de la technique médicale, en proposant la réalisation d‘une greffe osseuse avec comblement partiel du sinus maxillaire et en demandant l‘avis d‘un médecin ORL pour vérifier l‘état du sinus maxillaire.

En revanche, il n‘ont pas géré l‘aspect psychologique et humain, en ne recevant pas personnellement MonsieurTrèsdéçu pour lui 68 expliquer le déroulement de cette nouvelle séquence thérapeutique. L‘Expert rappelle de plus que cette complication n‘avait pas été évoquée au niveau des informations préalables au traitement, ce qui constitue une erreur des deux praticiens. C‘est ce qui a provoqué la perte de confiance de MonsieurTrèsdéçu et la présente procédure.

Sur le plan du choix thérapeutique, à savoir la pose d‘un implant court et l‘absence de scanner avant la pose, il n‘était pas obligatoire de réaliser un scanner dès lors que le Docteur Chir-Impl disposait d‘une radiographie panoramique de bonne qualité lui permettant d‘évaluer la hauteur osseuse, et qu‘ayant pratiqué lui même l‘extraction, il avait visualisé l‘épaisseur de la crête osseuse disponible.

Cependant, la prescription d‘un scanner pré opératoire, après la cicatrisation du site d‘extraction lui aurait permis de mesurer avec précision la hauteur d‘os disponible (environ 10mm) et de visualiser la position exacte du sinus maxillaire. Cet examen aurait pu inciter le Docteur Chir-Impl à choisir la solution d‘augmenter la hauteur d‘os par comblement partiel du sinus maxillaire.

Le Docteur Chir-Impl a opté pour le choix de l‘implant court, en raison de l‘état de santé général de Monsieur Trèsdéçu, afin de lui éviter une chirurgie de comblement du sinus, qui est une chirurgie présentant un risque, en particulier de déchirement de la muqueuse du sinus et de développement d‘une sinusite. De ce point de vue, le choix était judicieux.

Du point de vue biomécanique, la pose d‘implants courts pour le remplacement d‘une dent unitaire et plus particulièrement d‘une molaire est très controversée. En effet, le rap- port longueur de l‘implant / longueur de couronne est dans ce cas défavorable.

L‘Expert considère que le choix d‘un implant court et large, sans constituer une faute, constitue une erreur dans ce cas, car Monsieur Trèsdéçu présente une occlusion serrée et des facettes d‘abrasion faisant suspecter une para fonction (grincement des dents).

Le blocage de l‘implant dans l‘os (ostéointégration) n‘a pas résisté aux forces de la mastication et particulièrement aux forces latérales. L‘implant est donc devenu mobile et a été expulsé, bien que le Docteur Chir-Impl ait utilisé une technique chirurgicale correcte, avec mise en charge différée de l‘implant, et le Docteur Prot-impl une technique prothétique correcte, avec contrôle radiographique de la bonne connexion entre le transfert d‘empreinte et l‘implant, lors de l‘empreinte et entre le faux moignon et l‘implant, pour la restauration prothétique.

Verdict

L‘Expert retient que la responsabilité des deux praticiens est engagée solidairement à hauteur de 50% pour chacun d‘eux.

* déterminer la durée de l’incapacité temporaire de travail en indiquant si elle est totale ou partielle ; Il n‘y a pas d‘incapacité temporaire de travail, ITT = 0.

* fixer la date de consolidation et si celle-ci n’est pas acquise, indiquer le délai à l’issue du- quel un nouvel examen devra être réalisé, évaluer les seuls préjudices qui peuvent l’être en l’état ; La date de consolidation ne peut être fixée au jour l’expertise. Elle pourra être fixée après la réalisation du bridge, dans un délai de 3 à 6 mois environ.

Les autres préjudices seront fixés après consolidation.

Ce qu’il faut retenir de cette affaire

1. Il est indispensable de pouvoir justifier de son choix thérapeutique, en particulier en cas d‘extraction.
2. Il faut donner au patient tous les éléments d‘information sur le traitement proposé, sur les autres traitements possibles avec leurs avantages et inconvénients, et noter sur la fiche médicale ces éléments d‘information.
3. Il faut informer le patient du taux de succès dans cette situation clinique précise, mais également l‘informer des complications éventuelles et de ce qui se passerait en cas d‘échec, sur le plan financier notamment.
4. Il faut assumer personnellement la gestion des complications et ne pas déléguer cette tache à une assistante.

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A propos de l'auteur

Dr. Patrick MISSIKA

MCU PH
Faculté de chirurgie dentaire université Paris 7
Vice-doyen
Directeur du diplôme universitaire d’implantologie
Professeur associé TUFTS Boston university
Expert national agréé par la Cour de cassation

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