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Entretien avec le Dr Ely Mandel

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Endodontie : d’où venons-nous, où allons-nous ?

Bonjour Ely, Merci d’avoir accepté de nous faire dans ce numéro « spécial endodontie » un panorama de l’endodontie telle que vous la voyez aujourd’hui.

Vous êtes praticien hospitalier, maître de conférences de l’université Paris 7 et ancien président du Cercle parisien d’endodontologie appliquée. Vous avez à votre crédit de très nombreuses publications nationales et internationales. Vous êtes l’auteur du chapitre sur les lésions endoparodontales dans le livre « Endodontie Clinique » qui vient de paraître aux Éditions CdP, collection JPIO.
Vous maintenez en plus une pratique privée limitée à l’endodontie à Paris.

Comment voyez-vous l’évolution de l’endodontie en France durant les quarante dernières années ?

L’évolution de l’endodontie en France ne peut pas être dissociée de celle que l’on connaît dans les autres pays européens et du continent américain. Je dirais qu’en Europe et tout spécialement dans les pays scandinaves, il s’agit d’une évolution biologique de l’endodontie axée essentiellement sur les connaissances fondamentales: la microbiologie, l’asepsie et toutes les études statistiques concernant les paramètres de succès et de l’échec. En revanche, dans le continent américain et essentiellement en Amérique du nord, il s’agit plutôt d’une évolution technique, c’est-à-dire une façon de systématiser les choses pour une approche clinique plus rationnelle, plus ergonomique aussi.

Attirée par ces deux pôles, la France a suivi cette évolution tantôt sur les plans de recherches fondamentale et clinique et tantôt sur les plans technique et technologique. On connaît par exemple d’excellentes études faites par l’université de Strasbourg sous l’égide du Professeur FRANK, menées dans les années 70-80. Sur les plans technique et technologique, les idées en France ne manquaient pas. Très tôt, des trousses et instruments ont vu le jour créés par des pionniers dans les années soixante. Je peux citer bien sûr la fameuse vis d’Archimède, la vis sans fin, inventée par LENTULO qui porte son nom. Lorsqu’on a pris conscience de la nécessité d’obturer les canaux radiculaires, ce fut une véritable révolution que de permettre par un « tour de vis » d’obturer le canal à l’aide de la « pâte », du ciment endodontique. À cette période, d’autres inventions fran- çaises apparaissent : la trousse de MASSERAN, par exemple, pour l’extraction des instruments fracturés et aussi l’extracteur de tenon de GONON. J’ajoute que récemment des nouvelles versions modifiées en sont proposées tant en France qu’aux USA. C’est dire combien ces pionniers avaient vu juste.

Et tout ceci pourquoi ? Tout bonnement pour la prise en charge de l’échec endodontique et le retraitement de la dent. Je me dois d’insister sur ce point ; en France, on faisait du retraitement endodontique que l’on appelait la « reprise » déjà depuis les années soixante alors qu’en Amérique du nord le terme « retraitement » ne commence à voir le jour que dans les années 80 et notamment, à la suite de la fameuse publication de Schilder « Retreatodontics » en 1986.

Je peux dire qu’en matière de retraitement endodontique l’Europe et tout particulièrement la France, furent les pionnières en la matière.

D’ailleurs MARMASSE avait déjà proposé voici plus de quarante ans de se servir d’un instrument endodontique plus rigide pour la « reprise » des traitements.

C’est ce que nous faisons aujourd’hui.

Vous avez été témoin de beaucoup d’innovations et aussi de quelques révolutions. Si vous deviez n’en retenir que deux quelles seraient-elles ?

Pour moi, deux grands événements marquent un pas de géant dans l’évolution de la pratique endodontique moderne.

  • Le premier fut la décision prise par la conférence de la Société américaine d’endodontie qui s’est tenue à Philadelphie en 1965. Au cours de ce congrès, il fut proposé de standardiser en diamètre, en conicité et en couleur l’ensemble des instruments endodontiques, la fameuse progression en diamètre de 2 %, notamment. Pensez que jusqu’à cette date la fabrication des instruments n’était régie par aucune règle. D’un fabricant à un autre, le même instrument pouvait présenter des variations considérables concernant son diamètre, sa couleur et sa conicité. Cette anarchie était source d’accidents de parcours lors du traitement. Fracture, fausse route et perforation étaient le lot quotidien lors de la mise en forme canalaire. Cette harmonisation internationale des instruments a beaucoup contribué à l’évolution de l’endodontie moderne telle que nous la connaissons aujourd’hui.
  • Et puis, aussi surprenant que cela puisse paraître, la deuxième évolution est pour moi justement l’abandon dans les années 90 de la standardisation des instruments endodontiques. Cette évolution est directement liée à l’avènement de l’alliage en nikel-titane, qui a permis d’augmenter la pente de 2 % imposée par la standardisation pour permettre rapidement une meilleure conicité canalaire lors de la mise en forme. D’ailleurs l’avènement de la rotation continue est aussi lié directement à ce changement de la nature de l’alliage pour la fabrication des instruments endodontiques.

Vous êtes un adepte de la technique de Schilder de la première heure, pensez-vous que les principes qu’il a proposés sont toujours en accord avec l’endodontie d’aujourd’hui ?

Je suis un adepte de la pensée de Schilder parce que j’ai eu la chance de me trouver à « Garancière » dans une équipe qui me l’a enseignée. Ma thèse d’Exercice concernait la gutta-percha et son compactage vertical.

Je l’ai faite sous la direction du Pr. Jean-Paul ALBOU et à l’époque, ceux qui étaient ses assistants, les Drs. Jacques BREILLAT et Pierre MACHTOU. C’est cette équipe qui m’a donné toute ma motivation pour l’endodontie. Or, que disait en substance Schilder ? Trois choses très simples.

  • Il n’y a pas de parage canalaire ni d’obturation canalaire étanche, tridimensionnelle, sans une conicité préalable. La conicité qu’il faut procurer au canal au cours de la préparation canalaire, il l’a appelée la « mise en forme ». Ce que je vous dis paraît peut-être aujourd’hui un peu ridicule car trop évident. Mais, dans les années 70-80, une guerre féroce faisait ravage entre les tenants des deux écoles ; celle qui prônait la conicité et celle qui ne l’acceptait pas. Pléthore de techniques, de contre-angles et d’instruments sont proposés durant des années selon cette dernière école, celle qui refusait l’établissement de la conicité au cours de la phase instrumentale. Aujourd’hui, tous, sans exception aucune, sont soit abandonnés dans les tiroirs des praticiens soit totalement oubliés. Maintenant l’établissement de la conicité au cours de la phase instrumentale est prouvé de façon expérimentale et personne ne le conteste.
  • La deuxième idée que nous devons à Herbert SCHILDER est le cadre dans lequel cette conicité doit être établie. Afin que cette conicité puisse être effective, il faut qu’elle obéisse à un certain nombre de paramètres que Schilder a appelé les « impératifs mécaniques » de la mise en forme canalaire. La conicité recherchée doit obéir à la trajectoire canalaire de départ (calque), maintenir l’étroitesse et la position du foramen apical. Toutes les techniques proposées jusqu’à maintenant et qui ne pouvaient obéir à ces impératifs de mise en forme ont été abandonnées sans exception aucune. De nos jours, l’ensemble des techniques en rotation continue ou en mouvement alterné (Reciproc et waveOne) obéissent aux règles proposées en 1974 par Schilder.
  • Et sa troisième idée concerne l’obtention de l’étanchéité de l’obturation, celle qui doit être « tridimensionnelle », selon son propre terme. Afin que l’étanchéité de l’obturation canalaire soit effective, il faut que la gutta-percha soit ramollie et compactée, comprimée par une pression verticale. Or, force est de constater que la plupart des techniques actuelles de l’obturation canalaire pivotent autour de cet axe charnière, celui qui compacte la gutta-percha d’une façon verticale, par opposition au compactage latéral et autres.

Quelle a été la part de l’enseignement universitaire dans cette évolution ?

Ce n’est pas prêcher pour ma paroisse et je crois ne pas me tromper que de dire que « l’École de Garancière » a joué le rôle de pionnière en la matière. C’est ici que nous avons bâti, sur la pierre angulaire, cet édifice que l’on appelle l’endodontie moderne en France. C’est dans les murailles de « Garancière » que grâce au Pr. Jean-Paul ALBOU, la gutta-percha fut introduite comme matériau d’obturation canalaire et compactée dans les canaux radiculaires. C’est aussi ici qu’un matin, le Pr. Éric LAURENT, au cours d’un de ses coups de colère auxquels il nous avait tant habitués, a ramassé tous les pots d’arsenic du service et a pris l’initiative de les jeter dans le panier.

Oui, car à l’époque, on avait trop peu recours à l’anesthésie et on « tuait » le « nerf » en posant de l’arsenic dans la chambre pulpaire. Et enfin, c’est aussi là que le premier grand livre sur l’endodontie a vu le jour sous l’égide du Pr. Jean-Marie LAURICHESSE.

 

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A propos de l'auteur

Dr. Ely MANDEL

Praticien hospitalier
Maître de conférences de l’université Paris 7
Ancien président du Cercle parisien d’endodontologie appliqué

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