Il y a des jours comme ça, où tout va de travers et où l’on se dit que l’on aurait mieux fait de rester au lit ! La crèche n’en veut pas, sa fille a de la fièvre… Je serai donc sans assistante aujourd’hui. Pas de chance, la secrétaire a pris une semaine de congés pour assister au mariage de sa sœur, à l’étranger. La perspective de travailler une journée seule au cabinet soulève une forte tentation de reporter les rendez-vous…et puis non, je décide d’assurer. Une journée après tout, ce n’est pas le bout du monde !
J’arrive donc 40 minutes avant le premier rendez-vous : je prépare quelques plateaux d’avance, et sors sur le plan de travail les produits nécessaires pour le premier patient.« Pouvez-vous tenir l’aspiration, je vais vous faire travailler un peu aujourd’hui… allez-y crachez, rincez-vous, aspirez, crachez… » C’est fou ce qu’ils ont tendance à aspirer l’air ambiant plutôt que de laisser la pompe à salive là où je la pose !
Dring… Je repose turbine, aspi, et enlève mes gants : « Excusez-moi, j’en ai pour un instant »…c’est le facteur : un recommandé, une signature…
Je remets des gants : « Allez, on y va… » Mince, j’ai oublié la pince à matrice (et hop, un tiroir ouvert).
J’anesthésie trois dents, mais l’heure tourne, je ne déposerai pas le troisième amalgame. Et zut ! J’ai oublié la pince de Miller pour vérifier l’occlusion, tant pis ! Mes gants sont tout bleus et il en reste en passant sur la seringue à air !
- Vous ne deviez pas finir aujourd’hui, Docteur ?
- Je le pensais, mais non, il reste encore une dent à soigner. » Petit soupir de déception du patient, je me dépêche de lui trouver un rendez-vous et lui dis que pour sa prescription de brossettes, nous verrons la prochaine fois !
Je m’en sors bien, pour l’instant : je suis à l’heure, mes patients se croisent sur le palier…Ponctuelle ? Pas tout à fait. Il faut débarrasser (pas le temps de faire le tri, j’empile !), décontaminer le fauteuil, le plan de travail, mettre un nouveau plateau…J’ai oublié le crachoir et le gobelet usagé : et voilà, j’ai six minutes de retard et il faut encore sortir le tube de prophylaxie sans aide opératoire, il va y avoir du mouchetis de pâtes prophylactiques partout !
« – Entrez, installez-vous… » dring… « Excusez-moi, je réponds au téléphone et j’arrive… » C’est bien ma veine : un nouveau patient. Je sors la fiche téléphonique de la secrétaire, je la remplis tant bien que mal, je n’ai pas le temps d’être très conviviale car la patiente qui attend sur le fauteuil doit être à la sortie de l’école à 11h 30 ! J’active le répondeur sinon je ne m’en sortirai pas. Je me fais livrer un pizza avec un brownie au cabinet, tant pis pour l’hygiène alimentaire, pas le temps de rentrer déjeuner à la maison. Il faut encore appeler le labo, éditer un devis, avancer la chaîne de sté et planifier l’après-midi ! Courage !
Bilan de fin de journée en solo
Fatigue et stress sont à un point culminant et la productivité en chute libre ! J’ai commis d’innombrables erreurs d’asepsie, laissé des tiroirs ouverts pour avoir oublié un instrument, ouvert un pot ou refermé un tube… sans compter le nombre de « On verra la prochaine fois » en réponse à « Je vous règle quelque chose, Docteur ? ». Pas une feuille de faite, pas un chèque dans le tiroir !
A déplorer aussi les interruptions en bouche, donc les ruptures de concentration, le téléphone mis sur répondeur et des échanges expédiés à la va-vite ; je l’avoue, chers patients, je vous ai un peu floué aujourd’hui sur le service, la rigueur de l’asepsie et l’avancement de vos traitements. Et la sté ? Elle attendra bien, en espérant que mon assistante revienne demain !
Quand je pense que j’ai souhaité rendre cette pièce visible et accessible aux patients…on dirait ce soir, une cuisine de lendemain de fête !
Réflexions
Outre le fait que cela soulage toujours un peu de partager son triste sort avec quelques congénères dans le but de susciter de la compassion, l’occasion m’est offerte pour lancer quelques réflexions et incitations. Tout d’abord, prenez soin de vous : travailler à quatre mains et deux têtes est une source de sérénité et de confort inestimable !
Les tâches périphériques à l’acte opératoire, et plus particulièrement la stérilisation générèrent un temps journalier important et improductif, en parallèle à notre travail en bouche. La première évidence qui s’impose est de déléguer ces tâches périphériques, et donc de recruter des ressources au cabinet : il vous en coûtera 18-20-22 euros de l’heure toutes charges comprises ! Vous êtes bien plus précieux (et rentable) dans votre cabinet-entreprise centré sur votre cœur de métier : chirurgien-dentiste soignant des patients.
Le coût engendré à l’année de ce poste de gestion instrumentale incite à la rationalisation de cette activité :
Embauchez, je vous en conjure, pour votre confort, votre sérénité, votre efficacité, votre image et disponibilité au patient, pour le respect des normes et des contraintes etc. Le temps du travail en solo appartient aux dinosaures (ouille, je sens que je me suis fait des copains !).
Diminuez le nombre de plateaux, d’instruments utilisés, de produits, de consommables. Vous réduirez le nombre de passage de vos instruments et particulièrement des instruments rotatifs, et augmenterez leur longévité. Vous réduirez de façon significative le coût du consommable.
Chaque patient qui rentre dans le cabinet génère un temps nécessaire mais improductif d’environ 12 minutes : les bonjour et civilités habituelles (je pose mon sac, enlève mon manteau, retire mes lunettes, je m’assois là, Docteur ? Ah, non là, pas si bas, je peux me rincer ? Vous penserez à me faire mon ordonnance et ma facture pour la mutuelle ?)Un temps incompressible, incontournable d’accueil, d’installation, de communication, de désinstallation et de décontamination du poste de travail. Diminuer le nombre de patients par jour, donc de rendez-vous dans l’agenda, dégage un temps insoupçonné d’une part, pour avancer les traitements et d’autre part, de disponibilité pour l’assistante.
Un praticien qui reçoit 20 patients par jour génère un temps improductif de 4 heures par jour, celui qui en reçoit 8 passe à 1h40 (Fig.1).Quelle est l’assistante qui préfère gérer 20 plateaux par jour plutôt que 8, dans quel état de fatigue se retrouve un praticien qui, après une journée de travail en solo, se retrouve à stériliser 20 plateaux ?
Diminuez le nombre d’instruments utilisés, rationalisez chacun de vos actes par des procédures cliniques clairement définies et partagées avec l’assistante. Nos tiroirs regorgent en général d’instruments qui n’ont pas vu le plateau depuis des lustres, et de fraises qui n’ont pas usé le moindre grain diamanté. Pour un acte donné, nous utilisons 9 fois sur 10 les mêmes matériaux et instruments.
Le principe du travail en Tubs & Trays (décrit déjà il y a plus de 35 ans), baptisé encore par d’autres BACA – diminutif francisé de Bacs et Cassettes – a pour objectif de regrouper l’instrumentation qui va suivre le cycle de stérilisation ainsi que l’instrumentation jetable ou qui sera décontaminé et remise dans les tiroirs/Bacs/Tubs, selon vos préférences (Fig. 2).
Fig. 2 : affichage en salle de stérilisation du contenu des Trays
Les bénéfices de ce type d’organisation sont multiples :
- Anticiper et préparer le plan et poste de travail avant l’installation du patient ;
- Réduire le stress lié à l’improvisation ou à la mauvaise programmation instrumentale ;
- Minimiser le risque de contamination croisée due aux ouvertures de tiroirs ;
- Maintenir la concentration du praticien sur son champ de travail, la bouche ;
- Diminuer le nombre de mouvements inutiles ;
- Ne plus gérer les risques liés aux instruments en vrac ;
- Préserver des postures adéquates de travail (Fig.3) ;
- Eviter les allers et venues de l’assistante ;
- Gagner en efficience dans la réalisation des actes en bouche ;
- Valoriser l’image de l’équipe par un travail fluide et performant ;
- Rassurer le patient ;
- Eviter les retards ;
- Augmenter sa rentabilité.
Et puis, quelle excellente opportunité, en réorganisant la salle de sté, de ne plus la reléguer à un réduit par manque de place ou d’attention : aujourd’hui, la salle de stérilisation s’ouvre sur le reste du cabinet, devenant ainsi le pôle central du cabinet …pour le bonheur de l’assistante, la confiance du patient et l’image perçue de professionnalisme du praticien !
