Aujourd’hui, pouvons-nous nous engager vis à vis de nos patients atteints de parodontite? Les recherches médicales et la littérature scientifique nous permettent à ce jour, d’être sereins dans nos pronostics et nos traitements. Il est possible d’obtenir des résultats prévisibles, reproductibles et de conserver un parodonte sain, quelle que soit l’option du plan de traitement choisi.
Ce cas clinique illustre les résultats que l’on peut obtenir après traitement.
Une patiente de 51 ans consulte en novembre 2009 de crainte de perdre «sa dent de devant». Sa profession : «acheteuse de matière première» dans une entreprise, mais elle vient de se faire licencier ! …
Symptomatologie vécue par la patiente
- SAIGNEMENT : très fréquents au brossage et même spontanés.
- DOULEURS : au niveau de la 11 dès qu’elle est sollicitée.
- RÉCESSIONS GINGIVALES : la patiente n’a pas constaté de rétractation gingivale.
- MOBILITÉ : de nombreuses dents sont mobiles et plus particulièrement 18;25;36,toutes les incisives maxillaires et mandibulaires bougent. La 11 plus particulièrement.
- MIGRATION : la 11 est vestibulée, extrusée et distalée. La 21 est vestibulée.
- HALITOSE : très importante même après le brossage des dents1 Tassements alimentaires: De plus en plus fréquents.
- ANTÉCÉDENTS : son père a eu un «dentier» à 50 ans «parce que ses dents tombaient toutes seules»²
Le contexte médical
- 1990 – Nodule à la thyroïde.
- 1995 – Chirurgie d’ablation de la thyroïde. Stress associé à de l’ anxiété.
- 2009 – La patiente prend du Levothyrox et son taux d’hormones thyroïdiennes est stabilisé, son bilan biologique est normal.
La thyroïde participe à de nombreux métabolismes par l’intermédiaire de deux types d’hormones, mais elle ne peut fonctionner que sous le contrôle de l’hypothalamus par l’intermédiaire du TRF (thyrotrophinreleasing-factor) et de l’antéhypophyse par le biais de la TSH (thyréostimuline hypophysaire).
Les hormones iodées sont élaborées par la thyroïde à partir de l’iode circulant, qui est capté et concentré par les cellules et les vésicules thyroïdiennes. Il s’agit de la thyroxine (ou T4 ou encore tétraiodothyronine) et de la tri-iodothyroxine (ou T3). Ces deux hormones règlent la croissance osseuse, le métabolisme des muscles et du tissu conjonctif, ainsi que la maturation du système nerveux central. Autrement dit lorsque la thyroïde dysfonctionne, le métabolisme osseux et donc parodontal peut être perturbé. La patiente est non-fumeuse.
Evaluation du « risque parodontal » 2-3
- ANTÉCÉDENTS FAMILIAUX : son père avait une prothèse amovible totale à 50 ans. Le test génétique de susceptibilité aux maladies parodontales n’a pas été réalisé.
- TABAGISME : non
- STRESS: associé à de l’anxiété (au moment de son licenciement et quand elle a subit la thyroïdectomie).
- MÉDICAL : au moment de la consultation et du traitement parodontal, le dérèglement hormonal thyroïdien était traité avec du Levothyrox,et équilibré.
- RÉSISTANCE À LA CARIE : assez importante (antagonisme bactérien)4-5.
Cette patiente avait donc un risque parodontal «moyen» le jour de la consultation. Il était « fort » avant la chirurgie d’ablation de la thyroïde et la mise en place de son traitement substitutif.
Examen clinique
- Examen exobuccal [PHOTO 1, et 17]
- Symétrie faciale
- Sourire «contrôlé» de classe IV (Classification Parodontia)
- Migration très importante de la 11 , important disthème entre 11 et 21
- Examen endobuccal [PHOTO 2]
Type de parodonte
- Plat et épais avec un niveau de gencive attachée supérieur à 4mm.
- Frein interincisif maxillaire proéminent
- Ligne des collets assez harmonieuse
- Présence de plaque bactérienne et d’une muqueuse oedématiée et hémorragique.
- Suppuration visible au niveau 11-21 et 36.
- Halitose.
- Classe II occlusale.
- Parafonction en réaction aux mobilités.
- Migration importante de la 11 malgré un traitement orthodontique mené en 1995 et une contention orthodontique réalisée en 1996, qui s’est rapidement cassée…
- Pas de sondage réalisé au premier rendez-vous à cause de l’importance de l’inflammation et de l’infection.
Examen radiologique
Bilan rétroalvéolaire argentique 2009 [PHOTO 3]
Nous pouvons noter:
- la disparition de la lamina dura,
- des images de défauts intraosseux, interproximaux,
- des atteintes des furcations , particulièrement en 36,
- la 11 est dans une zone totalement radioclaire.
Examen microbiologique
Nous savons que les parodontites sont des maladies inflammatoires 6-8 initiées par une infection bactérienne 7-9.
Au cabinet pour connaitre la nature de la flore bactérienne parodontale plusieurs types d’examens s’offrent à nous :
La sonde ADN
C’est l’examen microbiologie le plus précis. Il est effectué à l’aide de sondes nucléiques (sonde ADN). La sensibilité de ces tests génétiques est excellente puisque le seuil de détection peut descendre jusqu’à 103 bactéries. Cependant le délai pour avoir les résultats varie en fonction des laboratoires entre 1 à 3 semaines.
Comme nous le savons, un des paramètres du succès en parodontie dépend de l’observance du patient et de son implication. Ce délais d’attente fait que la sonde ADN n’est pas un outil de communication très performant.
Le microscope à contraste de phase
Les travaux publiés dans Molecular oral microbiology; 201321, Periodontology 2000 ;20057 nous apprenent qu’un des pathogènes du «complexe rouge» de Socransky le Tréponéma Denticola , est entre autres un précurseur de Porphyromonas Gingivalis.
Ces études nous permettent d’en déduire, que si nous observons au microscope la présence de Tréponema Denticola (famille des spirochètes), il y a de ce fait, présence du Porphyromonas Gingivalis.
Il est bien entendu, que l’examen microbiologique au microscope à contraste de phase n’est qu’un examen complémentaire et bien évidemment qu’il n’est pas suffisant à lui seul pour poser un diagnostic.
Cependant ce moyen d’analyse nous permet de juger de l’état d’activité de la maladie, et de vérifier au cours du traitement le contrôle de l’infection. C’est très facile à réaliser et le résultat est immédiat.
Cet outil complémentaire nous permet:
- d’expliquer au patient l’une des causes principales de la maladie parodontale,
- d’impliquer nos patients et de les garder motivés dans l’observance du traitement afin de préserver une flore compatible avec la santé parodontale.
- C’est un examen qui nous permet de constater l ‘absence des pathogènes qui sont l’une des causes de perte d’attache (pendant le traitement et après le traitement, lors de la maintenance.)
Diagnostic
Parodontite Agressive Généralisée Active cliniquement, radiologiquement et microbiologiquement avec des pertes d’attache allant de 30 à 100% avec un risque «moyen» de récidive après traitement.
Plan de traitement proposé à la patiente
Thérapeutique étiologique
- «Arrêt» de la maladie parodontale10
- Gain d’attache parodontale par élimination méticuleuse des spicules de tartre supra et sous gingivales par détartrage et débridement radiculaire non chirurgical.11-12
Suppression des surcontours des obturations et des couronnes. Retouches occlusales: suppression des contacts prématurés iatrogènes.
Réévaluation
Thérapeutique correctrice si nécessaire. Remplacement de la 11 si nécessaire.
Maintenance parodontale
Plan de traitement réalisé
Thérapeutique étiologique
«Arrêt» de la maladie parodontale10
Après avoir expliqué à la patiente la nature infectieuse de sa maladie, la prescription systémique est délivrée et les soins locaux antiinfectieux enseignés.13-14-15-16-17
Traitement Systémique
Nécessaire étant donné la profondeur des poches parodontales et la nature pathogène de la flore10.
Amoxicilline 500mg 3X/jour pdt 7 jours +Flagyl 500mg 3X/jour pdt 7 jours (23)
Traitement Local
Soins bucco-dentaires
- Brosse 15/100 GUM 509 Sensivital.
- Brossettes interdentaire GUM choisies en fonction des espaces interproximaux.
- Pâte antiseptique .
- Bain de bouche à la Chlorhexidine à 0,12% (Paroex de GUM) 2X par jour pendant 3 semaines.
Gain d’attache parodontale
Nous revoyons la patiente 3 semaines après le bilan parodontal et les prescriptions. La gencive est redevenue rose pâle, elle ne saigne plus, elle n’a plus d’halitose et sent ses gencives plus fermes. L’œdème ayant disparu, du tartre sous gingival devient apparent. [PHOTO 4]
L’infection étant contrôlée, un premier sondage parodontal est effectué *18 . [PHOTO 5]
Nous avons réalisé le détartrage et le débridement radiculaire non chirurgical de la bouche entière, en plusieurs séances dans le but de conserver le plus possible le cément12-19. Un point de contention provisoire en composite a été réalisé entre 11 et 12 pour permettre le débridement sans danger d’expulsion de la dent qui répond positivement au test de vitalité pulpaire. Des retouches occlusales sont pratiquées afin de supprimer toutes les parafonctions.
Nous avons supprimé les surcontours des obturations et des couronnes et réalisé une freinectomie du frein de la lèvre supérieure avec un laser Diode. [PHOTO 6]
Les séances de traitement parodontal terminées, les mobilités ont disparu, la gencive est redevenue rose piquetée en peau d’orange, et nous obtenons une fermeture des poches
Sur un bilan rétroalvéolaire de fin de traitement parodontal (en 2011), [PHOTO 7] on peut noter une amélioration très nette des défauts osseux et d’importantes reminéralisations du tissu osseux même au niveau des furcations ( particulièrement en 36)(PHOTO8), et surtout au niveau de la 11 [PHOTO 9]. En avril 2011, il persiste cependant un élargissement ligamentaire sur cette dent. Le test de vitalité pulpaire est alors négatif, nous faisons réaliser le traitement endodontique. Au microscope à contraste de phase, la flore est compatible avec une bonne santé parodontale.
Réévaluation
On conserve toutes les dents… La fermeture des poches parodontales est acquise.[PHOTO 9B ET 9B]
La patiente ressent un grand confort mais elle ne trouve «pas beau» son sourire!… [PHOTO 10 ET 11] Les colorations brunes sur les dents sont dues à la Chlorexidine des bains de bouche. Elles se retirent par un simple polissage ou aéropolissage et polissage minutieux.
Pour répondre à la demande esthétique, nous adressons la patiente à l’orthodontiste.
Traitement orthodontique
Réalisé par le docteur Daniel Zana de Nice qui nous indique: «Ayant obtenu le consentement éclairé de la patiente, et en accord avec elle, le traitement orthodontique a été entrepris en ménageant de longs espaces d’activation entre les RDV et en utilisant des forces légères et un appareil autoligaturant passif» (pas de contrainte par ligature). [PHOTO 12]
- Pose de l’appareil du haut uniquement, arc à mémoire de forme thermoélastique rond,de petite section, avec une force délivrée constante et très faible(2mois).
- Nouvel arc à mémoire de forme, rond (une section au dessus) force faible et constante(2mois).
- Nouvel arc rond (0,18 niti) toujours à mémoire de forme avec force légère, le parodonte ne supportant que la différence avec l’arc précédent (2 mois).
- Mise en place d’un arc acier rond de même section que le précédent. Objectif : fermeture des espaces, linguo version de 11/21 et légère ingression des incisives supérieures (un mouvement à la fois), (7 mois).
- Fil rond acier de finition (même section quele précédent).
- Collage de la contention (arc palatin collé) et débagage. [PHOTO 13]
- Contention de nuit (gouttière thermoformée) [PHOTO 14]
Maintenance parodontale
Nous proposons à la patiente de faire une séance de maintenance parodontale tous les 4 mois la première année en tenant compte du risque « moyen » de récidive. Si son risque n’évolue pas et que la patiente reste sérieuse au niveau de ses soins locaux et qu’aucun signe de maladie parodontale ne réapparait, nous pourrons espacer les séances et passer à 2 séances par an.
En 2015, lors d’une séance de maintenance un nouveau bilan rétroalvéolaire est réalisé. Nous notons encore des améliorations!! [PHOTO 19 ET 20]
Discussion
La 11 a pu être conservée et la patiente a retrouvé une bonne santé parodontale , une fonction efficace et du plaisir à manger, parler, sourire… Elle souhaitait comme beaucoup de nos patients conserver ses dents à tout prix!
Même si au premier rendez-vous de bilan parodontal, il était impossible de lui promettre que nous pourrions sauver toutes ses incisives, il était aussi impossible de lui proposer de poser un implant à la place de la 11 étant donné l’importance de la déminéralisation, de l’infection aiguë, et du diastème. Aussi, nous avions prévu une prothèse amovible provisoire au cas où la dent venait à être expulsée rapidement.
En arrêtant l’infection, en contrôlant la flore sous gingivale et en supprimant les obstacles aux gains d’attache parodontale de la manière la plus minutieuse possible, c’est à dire sans léser l’attache épithélio conjonctive ni abimer le cément dénué de tartre sous gingival les poches parodontales se sont toutes fermées. Le tissu osseux que l’on aurait pu imaginer perdu n’était que déminéraliser.
Il est intéressant aussi de noter qu’un traitement orthodontique réalisé avec des forces douces et sur un parodonte assaini semble stimuler sa régénération.
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5 commentaires
Bonjour,
pourriez vous communiquer la bibliographie intégrale.
cordialement
Bonjour, c’est fait.
Bonne lecture 🙂
merci
Super dossier, très intéressant et complet, merci beaucoup.
Un bel article avec une photographie extra. Il m’a répondu à ma question sur le role de la thyroide.