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Rencontre avec Bernard Touati

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Figure emblématique internationale, Bernard Touati est devenu depuis de nombreuses années, une légende. Conférencier de talent, auteur, rédacteur en chef d’une revue internationale, consultant auprès d’entreprises, il a souvent été à l’avant-garde de la dentisterie esthétique, enchaînant création et innovation. Bernard Touati nous a reçu pour nous livrer son regard sur une profession qu’il vit avec passion.

Un jour, un conférencier a dit : « Je ne suis pas Bernard Touati, je ne sais pas faire du Bernard Touati, mais je peux parler de mon expérience et je peux vous transmettre quelque chose d’intéressant ». Comment transforme t-on un nom propre en nom commun synonyme de qualité ?

A Las Vegas en juin dernier, lors du congrès mondial Nobel Biocare, le Pr Patrick Henry, grand patron australien spécialiste en implantologie, a introduit sa séance, en me présentant ainsi: « Je ne voudrais marcher sur les pieds de personne, notamment des éminents prosthodontistes et implantologistes qui sont ici, mais pour moi, le plus grand spécialiste au monde de dentisterie esthétique, c’est Bernard Touati ». Cela a jeté un froid parmi les collègues très éminents qui étaient présents. Ce confrère, je l’avais rencontré deux ou trois fois dans ma vie, il a simplement assisté à certaines de mes conférences.

Je pense qu’il y a quelque chose qui transcende les distances. C’est tout simplement la passion de la perfection, le goût d’aller au bout des choses. Chez un sportif, un politicien, un médecin, cette espèce de ressort que vous avez en vous pour aller plus loin, les gens le sentent. Je ne suis pas conduit par l’argent, c’est une récompense qui vient toute seule, après. La notoriété ne m’a pas plus intéressé. J’ai commencé, boursier, rapatrié d’Afrique du Nord, je ne suis pas né avec une cuillère en argent dans la bouche mais j’ai toujours eu cette envie d’essayer de me dépasser et de ne jamais me satisfaire du travail réalisé. J’ai fini Garancière en 70, major de ma promotion. J’avais alors le choix entre plusieurs propositions.

La plupart de mes confrères souhaitaient s’installer avenue Kléber ou boulevard Malesherbes. Pierre Custot, assistant de prothèse à Garancière, m’a proposé d’être son collaborateur. Il était installé entre Asnières et Bois Colombes et bien que ne faisant pas partie de ces cabinets huppés de Paris, il m’a laissé m’exprimer, surtout faire mes classes et apprendre de lui une certaine rigueur. C’était l’époque où on faisait des couronnes à bague, des CIV en résine… J’étais tout débutant mais je me suis dit que jamais je ne ferais ce genre de travaux. En 70, pour la proche banlieue, c’était un peu fou.

Je crois qu’il est important de ne pas brûler les étapes. J’ai vu beaucoup de collaborateurs et en général quand ils arrivent, ils veulent tout de suite aller haut et gagner beaucoup d’argent. Cela n’existe pas, sinon, il faut aller vendre des jeans… En 76, j’ai fait une création, place Malesherbes. Je me disais : « cela va être difficile de payer mon loyer et mes frais. Un mois après, je prenais un collaborateur. Et j’étais obligé d’aller au travail à 8 heures du matin ! Ce métier vous récompense mais il faut y donner beaucoup d’énergie et de rigueur. Actuellement, les gens ne veulent pas toujours prendre le temps de semer. Pour récolter, il faut semer. Certes, il y a les aptitudes que chacun peut avoir. Moi, je n’étais pas considéré comme un manuel.

A la fac quand on m’a donné le premier bloc de cire, je ne savais pas sculpter, il y en avait de beaucoup plus adroits. J’avais fait le concours général de philo, je voulais faire Normale Sup. Je n’étais pas formaté pour le dentaire mais je crois que l’habileté c’est aussi une histoire de méthode et d’entraînement.

Justement, vous avez passé votre vie à enseigner une dentisterie d’une extrême qualité, à tirer la dentisterie vers le haut, est-ce que vous pensez honnêtement, que tout le monde est capable de faire ce type de dentisterie, à la fois en terme d’habileté et surtout en fonction de l’implantation géographique ?

Sans être démagogue, je pense que oui. Quel que soit l’endroit où l’on exerce, on peut toujours hausser le niveau de sa pratique. Même dans les endroits qui semblent les plus défavorisés, vous avez des restaurants deux et trois étoiles où des gens se donnent du mal pour attirer des clients qui viennent de loin. Pourquoi croyez-vous que ces patients qui habitent des petites villes viennent souvent à Paris ? Parce qu’ils n’y ont pas toujours trouvé les dentistes qui font de la dentisterie esthétique !

Il y a partout une clientèle pour un travail de qualité mais ce type d’exercice est exigeant et il faut accepter d’en payer le prix. Je ne dis pas que tous les dentistes de France peuvent rencontrer ce type de clientèle mais regardez dans la rue la quantité de voitures de sport et le nombre de gens qui fréquentent les magasins de luxe, c’est énorme ! Le luxe marche très fort ! On peut faire de beaux composites, de jolis inlays, des couronnes sans métal, mais tant que nos confrères ne verront que le prix comme élément de choix entre un prothésiste et un autre, ils ne pourront pas « grandir ».

Certes, il y a une incidence économique et il est injuste et difficile de travailler avec les honoraires imposés par la Sécurité Sociale qui sont souvent honteux. N’importe quel déplacement d’un technicien qui vient réparer un de mes équipements est payé plus cher que certains actes chirurgicaux. Dans les cas qui le méritent, il doit y avoir moyen de trouver un accord avec les patients pour quelque chose qu’ils vont comprendre ; encore faut-il le justifier, mais certains confrères n’osent pas. Ils n’ont souvent pas fait l’effort des images. Il faut se doter des outils: appareil photo, écrans, ordinateurs, vidéo projecteur… Ici, je peux vous projeter ce que vous voulez en quelques secondes. Il faut prendre le temps de photographier son travail, de montrer la différence entre un avant et un après. J’assois les patients à côté de moi et je leur montre mes réalisations: une image vaut mille mots ! Sans cela, vous ne pourrez pas obtenir le consentement du patient. Or, l’information prime l’action. Sinon quand vous vous retrouverez devant une cavité, vous mettrez systématiquement un amalgame ! La Sécu nous a placé dans un système pernicieux où finalement on se sent presque malhonnête de proposer quelque chose de performant à un patient, c’est injuste. En Angleterre, en Espagne, aux Etats-Unis… le système est différent.

Quels conseils donneriez-vous à un jeune confrère qui débute ?

À la fac, on est idéaliste. Malheureusement, très vite, on a tendance à étouffer ses désirs devant les tristes réalités : « Je suis dans un quartier où ça ne marchera pas, je suis conventionné etc. » Souvent, les jeunes rentrent dans le moule des praticiens qui les entourent. Ils pensent qu’on ne peut pas révolutionner le système. J’incite les jeunes à essayer de voir les choses d’une manière différente. Il faut savoir travailler avec des loupes pour mieux voir et ensuite iconographier ce que l’on fait. Vous allez vous rendre compte des erreurs, la photo ne triche pas. C’est vraiment cruel. Enfin, communiquez ! Si vous avez un savoir-faire, exprimez-le ! On n’a pas le droit à la publicité mais on a droit au bouche à oreille. Comme pour un bon restaurant ou un bon film: dès le lendemain, vous en parlez à vos amis. Pour les dentistes, c’est exactement pareil. Le patient ressent tout. Dès qu’il pénètre dans votre cabinet, un peu de poussière sur une moquette, une peinture qui s’écaille, des mesures d’hygiène un peu légères… C’est subliminal, le patient va le sentir avant même d’être sur le fauteuil. Au premier contact avec le praticien, quelque chose va se passer, une espèce d’alchimie et il va savoir où il est.

Il faut mettre du sien dans son cabinet, de sa personnalité, se montrer tel qu’on est, les gens vont vous aimer pour vos qualités mais aussi pour vos défauts. Il ne faut pas avoir peur de se livrer. Souvent, on voit l’homme en blouse comme quelqu’un qui est très distant de son patient, qui ne va pas « donner » de sa personne.

Il faut avoir de l’orgueil, de la fierté. Dans la vie, on n’est jamais que ce que l’on a envie de devenir. Il ne faut pas se dire, je suis dans un cycle et je vais terminer comme cela. Il faut se donner les moyens de son ambition. Participer à des cours, lire, apprendre et y passer un certain temps. C’est sûr que celui qui le jeudi ne pense qu’à aller jouer au golf et le vendredi à 5 heures part faire du ski, qui n’ouvre jamais une revue, ne va pas à des cours, jette au panier les brochures, a fait son choix ! Celui de limiter ses connaissances. Le conseil que je donnerais aux jeunes, c’est d’accorder un peu plus de temps aux connaissances, parce que quand on sort de l’école, on a juste un passeport pour apprendre et en réalité, on ne sait pas grand chose. Je me rends compte que pratiquement tous les trois ou quatre ans, je ne fais plus ce que je faisais auparavant…

Par ailleurs, il faut être honnête dans sa pratique tant avec soi-même qu’avec ses patients. Une obturation doit être finie et sculptée, une marge doit être précise, sinon on recommence. Une empreinte n’est pas bonne, on la refait ! Souvent, les praticiens ont honte de le dire aux patients. Moi, je ne leur dis pas qu’elle est mauvaise, mais simplement que je vais essayer de faire mieux. Ils se disent : « tiens, il est exigeant celui-là ! » Le message est passé.

Vous soignez combien de patients par jour ?

Cinq, six personnes par jour et c’est déjà beaucoup. Seulement, je suis très productif. Ma journée est constituée d’un très long rendez-vous le matin, où je soigne un seul patient pendant 3 ou 4 heures et ensuite, 3 ou 4 rendez-vous l’après-midi mais je me laisse toujours des possibilités. Si vous êtes plein longtemps à l’avance, c’est que vous êtes mal organisé. Les patients sont classés en trois catégories, A, B ou C.

A, ce sont les longs travaux, en général de prothèse ou de chirurgie implantaire. On me les programme le matin. Les patients B, ce sont les petits travaux: prothèse ou implant unitaire, un inlay, une facette… Et les patients C, ce sont des actes simples: une équilibration occlusale, un scellement, enlever des fils de suture… Mon assistante va éviter de positionner des rendez-vous C à 10 heures du matin pour ne pas « casser » ma journée. Les A, seront programmés le matin, les B, en fin de matinée, ou en début d’après-midi, et puis on essaie de grouper tous les autres actes au moment où notre vigilance est moins grande, en fin d’après-midi par exemple.

D’autre part, quand on tient un carnet de rendez-vous, il ne faut pas remplir toutes les plages. Je laisse libre la première du matin, et la dernière de l’après-midi. Et la secrétaire n’a le droit de les proposer que dans la même semaine. J’ai donc toujours de la place dans la semaine pour un rendez- vous important ou une urgence. Si vous n’avez pas ce type de « respiration » dans votre planning, vous mettez alors les urgences en doublon, vous commencez à faire du mauvais travail et à prendre les patients en retard. La première des règles, c’est d’être précis. Chez nous, dès qu’un patient se présente à son rendez-vous, on lui propose un café, il n’attend souvent que 5 minutes, le temps qu’il se décontracte. Si vous faites attendre un patient une demi-heure, le rendez-vous suivant, c’est lui qui vous fera attendre et vous ne pourrez rien dire.

Êtes-vous un adepte du travail sur deux fauteuils comme le recommande la plupart des consultants actuellement ?

Personnellement, je n’y crois pas. J’attache autant d’importance à la manière dont on raccompagne quelqu’un qu’à la manière dont on l’accueille. J’ai appris cela des Japonais. Si vous arrivez comme une flèche, une star, « je réalise mon acte, je m’en vais » et c’est quelqu’un d’autre qui finit: ce n’est pas du bon travail. Moi, je ne délègue rien ! Je suis paranoïaque. Le nettoyage d’un ciment, la pose d’un cordonnet, tous ces détails font la qualité finale. Je ne laisse jamais quelqu’un sceller à ma place.

Vous pouvez imaginer les catastrophes qui peuvent arriver dans le scellement d’une dent provisoire. Ici nous sablons tout l’intrados, on nettoie, je revernis la dent, je vérifie l’occlusion… Vous pouvez ruiner une dent pulpée, une papille ou une gencive marginale simplement parce que l’assistante aura remis un peu de Tempbond sur l’ancien et que la dent aura été placée en surélévation. La première formule que j’ai apprise à mon collaborateur c’est : « Le diable est dans les détails ». Il faut toujours faire très attention à tous seulement un peu de compression, en faisant la dent provisoire, la gencive va se rétracter et plus tard, la marge sera exposée. Donc, cette rigueur ne sert pas seulement à vos patients mais vous en profitez également !

Quel regard portez-vous sur la profession ?

En France, on a une très bonne formation initiale mais le système de tarification de la Sécurité Sociale entraîne une certaine stagnation dans la qualité des soins et assez peu de nos confrères se recyclent régulièrement. On pourrait élever le niveau si on mettait en place un système permettant de suivre, contrôler, valoriser ceux qui recyclent leurs connaissances. Souvent, les organisateurs de congrès sont un peu désenchantés. Ils ont un programme superbe, pas très cher, souvent remboursé par le FIF PL, et finalement, à part quelques manifestations importantes ( SOP, ADF…) les conférences sont peu fréquentées. Il y a deux ou trois mois, j’étais à Bilbao pour dispenser un cours et j’ai remarqué des francophones dans la salle. Des Basques français, qui étaient allés s’installer dans le nord de l’Espagne parce que c’était plus facile d’être dentiste là-bas : « Il n’y a pas de Sécurité Sociale et on y exerce notre métier dans de meilleures conditions qu’en France ». Quand on arrive à un moment où vos valeurs s’exportent, c’est dramatique…

Par ailleurs, je regrette le fait qu’en France, les professeurs, les maîtres de conférence soient reconduits à vie. Dans beaucoup d’autres pays, ils sont sous contrat à durée déterminée. Ils doivent mériter la prolongation de leur contrat: décupler leurs forces et produire plus de recherche. Chez nous, celui qui a eu son « bâton de maréchal », est inamovible. Cela crée une certaine démotivation. Certains d’entre eux considèrent cela comme un aboutissement alors que dans d’autres pays, c’est un recommencement. C’est incroyable que la participation, aux publications et aux congrès, des assistants et des attachés, soit souvent plus forte que celle des « profs ».

Actuellement, il y a une grande tendance au coaching dans le monde dentaire. Qu’en pensez-vous et êtes-vous coaché vous-même ?

Je pense qu’il n’y a pas de génération spontanée. Si ces professionnels, les Brassard, les Binhas, sont en place, c’est qu’ils répondent à un besoin. Dans les années 80, Kilkpatrick nous apprenait à organiser notre travail en optimisant l’ergonomie. Maintenant on a besoin d’apprendre le reste, comment organiser des rendez-vous, s’adresser au patient, présenter un plan de traitement, quelle psychologie faut-il avoir devant des échecs. Je lis souvent dans la presse professionnelle aux Etats-Unis, Roger Levine, ou en France, Edmond Binhas. Il y a souvent de très bonnes idées dans ces articles car tout le monde n’a pas le temps de faire sa réflexion personnelle. Pour ma part, je ne suis pas coaché. Je pense que chacun a sa personnalité. Ce que je redoute dans le coaching, c’est l’uniformisation.

Je me suis forgé mes propres règles dont les maîtres mots sont: compassion, humanité et proximité des patients. Chaque fois qu’un patient consulte, je me dis, c’est moi ou quelqu’un de ma famille. Comment aimerais-je être reçu ? Quelle écoute aimerais-je avoir ? Est-ce qu’on lorgne sur mon portefeuille ou a-t-on simplement envie de me soigner dans les règles de l’art ? Les patients perçoivent cette démarche et subitement, les barrières s’effondrent.

Vous parliez des évolutions à apporter au système français. Si vous aviez tous les pouvoirs, qu’aimeriez-vous changer ?

Je pense que j’essaierais déjà de mettre en adéquation les progrès de la dentisterie avec la nomenclature. Ensuite, je privilégierais l’enseignement post universitaire à travers un certain nombre de points crédits, encourageant les confrères à se recycler. Par ailleurs, en France, les lois sociales sont très contraignantes et pas seulement dans le Dentaire: quand on engage quelqu’un c’est pour la vie. Cela freine l’emploi. Il faudrait qu’on puisse embaucher ou débaucher du personnel en fonction des besoins. Enfin, les programmes universitaires sont pauvres en management, gestion, langues étrangères, étude de la psychologie des patients ainsi qu’en pratique de l’outil informatique. A la sortie de la fac, les dentistes sont souvent désarmés.

On a commencé l’interview en commentant votre réputation d’excellence dans votre travail, mais pour vous rendre plus humain, parlez-nous de vos échecs.

L’échec est lié au succès comme la mort est liée à la vie. Le succès à 100 % n’existe pas. Celui qui affirme le contraire est un menteur ! Ce qui est important c’est d’en diminuer son taux Le Dalaï Lama a dit : « Oublie l’échec, mais n’oublie pas la leçon ». J’ai eu plus d’échecs dans le début de ma carrière que maintenant parce que j’ai essayé d’en tirer chaque fois les enseignements. D’abord, les regarder bien en face, les iconographier, les comprendre. Trop de personnes essayent de les cacher ou de se les cacher, ce n’est pas la bonne politique. Les échecs font partie de la vie. Tout le monde a eu une facette qui s’est décollée, un implant qui n’a pas été ostéointégré, une couronne en céramique qui s’est fracturée…

Pour affronter l’échec, parfois, il faut être aidé. D’abord, en discutant avec des confrères. Ensuite, il faut se concerter avec le technicien de laboratoire et enfin avec le fabricant… à condition qu’il joue le jeu. Avant, on mettait à l’essai les systèmes pendant des années, plus maintenant ! C’est nous, utilisateurs, qui réalisons l’expérimentation pour un certain nombre de fabricants. Très vite, à cause de la concurrence et d’une certaine réalité économique, le produit est placé sur le marché et nous en faisons souvent les frais. Certains fabricants ne jouent pas le jeu. Ils ont peur qu’un échec ruine leur réputation !

Personnellement, j’ai connu l’époque des facettes en céramique pressée. La coque était pressée mais on pouvait la stratifier pour la rendre plus esthétique. Avec mon ami Paul Miara, on a réalisé ce type de facettes et certaines se sont fêlées ! On a fait toute une investigation en se rapprochant du fabricant mais il ne nous a pas expliqué ce qui se passait. Il a fallu qu’on adopte une autre technique de facettes. Quelques années après, on a compris que lorsque l’épaisseur de la coque pressée est en deçà d’une certaine valeur, la différence de contraction thermique de la céramique de stratification provoque la fracture après scellement. Cela se joue à quelques dixièmes mais, réalisées au laboratoire, l’épaisseur de ces facettes n’était pas « standardisée ». Maintenant, avec les systèmes CFAO, cela ne peut pas arriver parce que les coques sont quantifiées, uniformisées. Nous avons connu des échecs, on s’est posé mille questions, avant de comprendre qu’en réalité, on violait une règle que probablement le fabricant avait soupçonnée mais sur la voie de laquelle il ne nous avait pas guidés.

Il faut savoir également gérer l’échec avec son patient. Les conflits sont ridiculement faibles, quasiment inexistants, si dès lors que c’est justifié, nous refaisons le travail à nos frais. Les problèmes surviennent en général au moment où l’on demande de nouveaux honoraires pour refaire un travail. Je reçois parfois des patients en conflit avec leurs dentistes, lesquels, après un échec, ne veulent plus faire face, ne leur répondent plus, ou les envoient sur une voie de garage et c’est insupportable pour les patients. Quand on a un échec, il faut exprimer notre regret, admettre notre part de responsabilité, régler ce problème avec diligence et de manière élégante car on juge vraiment quelqu’un lors d’un échec.

Que conseilleriez-vous à un praticien qui est en milieu de carrière et veut se remettre en question parce qu’il n’est pas satisfait des conditions de travail au sein de son cabinet et de sa qualité de vie ?

Malheureusement, après un certain temps, l’enthousiasme finit par s’étioler, l’envie de retourner sur les bancs diminue, on est embrigadé dans sa vie avec ses crédits, sa routine, on a du mal à faire le point. La pression du cabinet est lourde. Actuellement, je ne pourrais pas prendre une année sabbatique, on ne sait même plus si on pourrait prendre un mois sabbatique ! Cependant, on a toujours moyen de s’améliorer mais il faut déjà commencer par des petites choses et ne pas rêver de changement drastique immédiat. Il faut, chaque jour, apporter une pierre à l’édifice.

Un jour, vous allez améliorer vos conditions de travail, en travaillant avec des loupes ou en achetant un microscope, un autre jour, en essayant d’incorporer une assistante dans votre équipe, puis en allant régulièrement dans des congrès. Ceux qui ne cherchent pas à s’améliorer finissent dégoûtés de leur métier. J’ai des camarades de fac qui se sont retirés de la pratique dentaire et tiennent aujourd’hui des magasins ou des restaurants. Ils n’ont pas voulu se remettre en cause, réactualiser leurs connaissances. Ils se sont retrouvés face à la lassitude de refaire toujours les mêmes gestes et puis les trains sont passés, celui de l’adhésion, celui de l’ostéointégration, sans eux !

Quand vous vous retournez sur votre parcours, éprouvez-vous des regrets sur des choses que vous auriez aimé réaliser ou au contraire des chemins empruntés à tort ?

J’ai un regret: qu’on ne nous ait pas fait à moi-même et à d’autres personnes comme Yves Samama, par exemple, de place à l’université. Il fallait être « temps plein » et rentrer dans le moule… Je crois que nous étions des cliniciens qui avions un petit talent d’enseignant et de communicateur. C’est dommage qu’un pays puisse se passer d’individus qui, a priori, aiment ce qu’ils font, le font pas trop mal, ont envie de communiquer et d’aider les autres. Ceci dit, le fait d’avoir plus de temps m’a été bénéfique parce qu’il m’a permis de vivre des choses formidables.

D’autre part, sur le plan personnel, j’aurais aimé commencer la chirurgie plus tôt. Je crois qu’on nous a trop compartimentés entre ceux qui font de la prothèse et ceux qui font de la chirurgie. A présent, il y a une convergence et les techniques implantaires nécessitent les deux aptitudes. Faire sa chirurgie apporte énormément, parce que nous voyons ce qui se passe « derrière le rideau » et le tabou de la gencive disparaît !

Quels sont vos projets personnels ou professionnels ?

Au niveau professionnel, mes projets immédiats sont d’essayer de concilier biologie et esthétique en prothèse implantaire. Lorsque j’ai créé la « Société Française de Dentisterie Esthétique » en 1983, certains m’ont dit : « C’est stupide, parce que toute dentisterie est esthétique… ». Certaines personnes n’ont pas tout à fait compris que l’esthétique, c’est aussi le biologique, le naturel, le respect des tissus… Dans mes projets immédiats, je publie prochainement aux Etats-Unis un livre sur l’intégration des prothèses et l’optimisation des procédures prothétiques en implantologie. Jusqu’à présent, on a accepté de manière conventionnelle le dessin des implants et de leur col, ainsi que celui de la partie transmuqueuse des moignons.

On a laissé des piliers de cicatrisation dans certains cas, un peu par habitude, alors qu’on aurait pu passer à d’autres procédures qui respectent mieux la biologie des tissus. On a parfois temporisé alors qu’on aurait pu aller plus vite, comme après les extractions. Comprendre ce qui va nous permettre d’améliorer l’intégration et puis changer le protocole, c’est cela réconcilier l’esthétique et la biologie. Le privilège, quand on a un peu d’expérience et qu’on est respecté, c’est que les fabricants vous écoutent. Des cols d’implant divergents, il faut aller maintenant vers des cols d’implant convergents. La surface rugueuse doit aller jusqu’en haut du col, les spires ne doivent pas s’arrêter à plusieurs millimètres du col mais faire corps avec lui comme le propose mon ami Nitzan Bichacho.

La créativité est un moteur, elle permet d’éviter la routine qui conduit à la lassitude. Récemment, j’ai fait breveter un moignon implantaire au profil transmuqueux concave, un moignon biologique avec deux de mes amis, Éric Rompen et Éric Van Dooren, qui est en développement par Nobel Biocare. C’est important de ne pas être lassé de ce que l’on fait, d’éviter d’être blasé, désabusé. Chaque jour, quand le soleil se lève, je suis content de venir, de mettre ma blouse et de me dire : j’aimerais faire comme André Brunold qui a travaillé jusqu’à 78 ans ou comme Jean-Claude Harter qui travaille toujours, ce sont des hommes passionnés qui sont heureux de travailler, de vivre !

Nous sommes désormais dans un système de mondialisation. Si on a la chance, à plusieurs, d’influer sur l’évolution de notre profession, alors on soignera mieux nos patients, et on sera alors plus efficaces ! C’est enthousiasmant parce qu’en fin de compte et c’est le mot de la fin : « rien n’est permanent sauf le changement »

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A propos de l'auteur

Dr. Norbert COHEN

Rédacteur en chef du magazine LEFILDENTAIRE
Implantologie dentaire
Stomatologue
Docteur en médecine
Diplomé de l'institut de stomatologie et de chirurgie maxillofacial de Paris
Diplômé d'implantologie dentaire
Post graduate de parodontologie et d'implantologie de l'université de New-York
Diplomé de chirurgie pré et peri implantaire
Ex attaché des hopitaux de Paris
Diplômé d'expertise en médecine bucco-dentaire

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